Rébellion : un chef d’inculpation au pays des droits de l’homme

Le discours médiatique selon lequel les manifestants parisiens sont majoritairement de dangereux casseurs est omniprésent. On entend aussi souvent que finir en garde à vue après une manifestation n’est que le résultat de ses actions, que la police ne fait que son métier et qu’il fallait simplement faire plus attention. Voici un discours différent, qui expose ici les risques auxquels n’importe quel manifestant s’expose, des risques qui existent dans des manifestations autorisées par la préfecture, des risques qui existent n’importe où dans le cortège et des risques qui ont été largement confirmés par la manifestation du 12 décembre contre la loi sécurité globale et la loi sur les séparatismes à Paris.

Dans journalisme de terrain il y a terrain.

Tout d’abord le risque physique est le plus évident. En effet lorsque le 12 décembre au soir les ultracrépidariens des plateaux Bolloré et compagnie se félicitent tous d’une journée de mobilisation sans casse, on a du mal à comprendre de quoi ils parlent : les street-médics ont rarement été aussi débordés ; un tel degré de peur et de tension a rarement été atteint. Mais en effet les vitrines ont été protégées et ça, ça vaut sûrement bien quelques crânes ouverts. C’est une manifestation qui se déroulait pourtant pacifiquement et qui ne fut perturbée que par les charges répétitives et d’une violence extrême des unités de CRS et de voltigeurs de la BRAV. Il est donc absolument nécessaire de réaliser l’engagement physique que représente la participation à une manifestation en 2020 dans la capitale française et dans bien d’autres villes. Parce que parler de la soi-disant victoire de Lallement et Darmanin contre les méchants Black-block sur les plateaux télés comme ce fut ce soir-là, c’est atteindre des niveaux d’indécence intolérables, parce que montrer les images d’un musicien manifestant le visage couvert de sang et avoir l’audace de dire que c’est du maquillage, c’est une provocation qui appelle une réponse. Réponse qui aura le bénéfice de venir de quelqu’un qui était là contrairement aux journalistes qui ne filment que le dos des forces de l’ordre et qui ne savent pas à quoi ressemble une charge policière vue de l’intérieur.  

Non ce n’est pas du maquillage, c’est du sang.

En plus des menaces directes auxquelles sont confrontés les manifestants c’est-à-dire les LBD, gaz lacrymogènes, canons à eaux, charges illégales et dangereuses il faut aussi parler des séquelles que ces moyens de répression entraînent. Les séquelles psychologiques comme le stress post-traumatique, les cauchemars ou crises d’angoisse sont très courantes dans le milieu militant. Les séquelles physiques sont moins évoquées car les recherches sur la question ne sont pas encouragées mais de nombreux témoignages s’accordent pour dénoncer les effets des gaz lacrymogènes sur les utérus et ovaires, dénonçant des douleurs intenses, des saignements anormaux ou encore des aggravations d’endométriose. On peut aussi parler de l’impossibilité à respecter les gestes barrières contre le Covid-19 lorsque la foule est nassée, et lorsque les manifestants suffoquent et toussent à cause des lacrymos, le protocole de répression favorisant donc les contaminations. Mais le risque le plus démontré ce samedi est probablement le risque judiciaire. En effet le ministère de l’Intérieur a fièrement annoncé l’arrestation de 142 « individus ultras violents », mais parmi ces interpellations une très grande majorité est classée sans suite et seulement une poignée se retrouve en comparution immédiate.

C’est dur d’avoir 20 ans en 2020…

Ainsi, Tom étudiant de la Sorbonne est arrêté samedi à 16H30 par une unité de la BRAV et n’est relâché que 80h plus tard, après le report de sa comparution. Il est poursuivi pour violences volontaires contre deux agents dépositaires de l’autorité et rébellion. Accusations qui ne sont supportées par aucune preuve mais qui n’empêcheront pas un jeune de 20 ans présumé innocent d’être privé de liberté pendant plus de trois jours et trois nuits après n’avoir fait qu’exercer son droit : celui de manifester. Interviewé à sa sortie il est compliqué de le faire parler sur ses conditions de détention « en fait je suis pas forcément légitime à parler, j’ai pas été maltraité, ils m’ont nourri » c’est dire les standards attendus des conditions de garde à vue. Il regrette que le choix de manifester soit perçu comme un acte radical à moins « d’accepter d’être un punching-ball tous les samedis ». Enfin quand la question du sommeil est posée il répond simplement « c’est bizarre de devoir dormir emprisonné avec un inconnu, et puis les néons sont jamais éteints donc ouais, c’est dur de rêver en cellule ».

Concluons…

La question donc qui résulte de ce constat est la suivante : quand vous inquiéterez vous ? La coercition policière n’est que croissante, nos seuls moyens de répliquer tel filmer les forces de l’ordre sont remis en cause et notre droit à manifester est gravement menacé. Les journalistes sont persécutés, la police protégée, les institutions silencieuses, la justice complice. Nous ne crions pas à la dictature et notre discours n’est pas victimaire, nous appelons seulement à la vigilance la plus grande et à la lucidité quant au virage autoritariste que notre gouvernement prend sans subtilité. Nous n’invitons pas non plus à la haine contre la police mais questionnons son utilité et son impunité lorsqu’aujourd’hui le point de convergence entre toutes les luttes se fait, et à juste titre, par la dénonciation des violences policières. Enfin pour finir nous ne clamons pas l’innocence juridique de tous les interpellés du 12 décembre 2020 mais questionnons l’origine de la violence première.

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie que de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

Don HELDER CAMARA

RGA

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