Le défi du syndicalisme étudiant

Le 4 avril 2023, devant un parterre d’une poignée de journalistes et dans un relatif anonymat, le syndicat étudiant l’Alternative, scission de l’Union Nationale des Étudiants de France, retrouve des anciens camarades à eux, qui ont eux aussi quitté le navire, afin de fonder l’Union Étudiante. L’objectif: retrouver un syndicalisme unifié que n’incarnerait plus l’UNEF.

Fondée en 1907, l’organisation occupe une place assez singulière dans le paysage politique français. L’UNEF fut beaucoup de choses, a changé mille fois de visages, tantôt trop à gauche, parfois trop sociaux-traîtres, le syndicat étudiant fut de quasiment toutes les batailles depuis sa fondation.

Sa vie ne fut pour autant pas un long fleuve tranquille, à l’image d’un corps social qui n’a eu de cesse de muter. C’est d’ailleurs pour y répondre que les étudiants se sont dotés d’un tel outil.

Mais comme beaucoup de choses dans le paysage politique français, la position de l’organisation fut fortement fragilisée avec l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, balayant un grand nombre de présupposés acquis par les corps intermédiaires du mouvement social.

Pour autant, cela reste plus un symbole d’une époque qu’une véritable cause.

L’union voyait déjà son leadership contesté à sa droite par la Fédération des Associations Générales Étudiantes, qui est elle-même une organisation issue de la vieille dame. Elle a même gardé son organisation en AGE, qui correspond à l’unité locale de chacune des deux organisations.

La place de l’UNEF comme animatrice des luttes fut elle aussi sévèrement atteinte avec l’émergence de mouvements plus spontanés, en particulier dans les villes universitaires à fortes traditions de lutte, telles que Rennes, Nantes ou bien Toulouse pour ne citer que les plus fameuses.

Preuve que ce phénomène s’est tout de même accéléré depuis 5 ans, l’UNEF connaît une crise en interne pour la troisième fois et c’est la deuxième fois que des membres du courant majoritaire, en responsabilité totale de l’appareil, claquent la porte, au point de s’enquérir de l’état de santé de la vieille dame.

Y’a t-il un pilote dans l’avion ?

Comme nous le disions, l’UNEF a une histoire mouvementée et si elle est malade, c’est qu’elle s’englue dans des méthodes qui n’ont pas fondamentalement changé depuis 20 ans, à la suite de la fameuse réunification de l’UNEF.

En 2001 et depuis trente ans, ce sont deux organisations qui se disputent le nom d’UNEF. Finalement, c’est l’UNEF-Indépendance et Démocratie – que l’on aime dire d’elle qu’elle est proche du Parti Socialiste – qui absorbe sa rivale, l’UNEF-SE. Cette dernière avait pourtant gardé les statuts de 1907.

On a célébré le retour triomphal d’un syndicalisme unifié, qui se voulait pluriel, à l’image de tous les courants de la gauche au pouvoir à cette époque.

Oui mais voilà, ce qui était vrai sous le gouvernement Jospin l’est beaucoup moins à l’heure de la NUPES, de Renaissance et du RN.

S’il fallait expliquer l’UNEF à un jeune étudiant qui cherche à s’investir, il devra comprendre son fonctionnement très particulier, où les débats se règlent par le rapport de force entre les tendances qui la composent. Celles-ci se pensent comme des groupes politiques en interne, qui correspondent aux nuances de la gauche, avec à sa tête, comme il était d’usage alors, une sensibilité du Parti Socialiste, qu’on appellera plus tard les “frondeurs” même si certains membres dirigeants de la France Insoumise ont été en responsabilité, comme le député William Martinet, qui en a été tout de même le président durant la Loi Travail, en 2016.

Non seulement, on parle d’un temps que les moins de quarante ans et donc a fortiori l’écrasante majorité des étudiants n’ont pas connu, mais la structuration qui en est issue sclérose toute évolution.

Au fur et à mesure qu’on se rapproche de notre temps, ce qu’on a appelé la Majo s’est peu à peu éloigné d’un discours dont il portait pourtant le nom. Dès 2006, alors que l’UNEF fête sa victoire face au gouvernement Villepin dans le combat contre le Contrat Première Embauche, des militants ont alerté sur l’état de l’organisation, qui ne s’est pas renforcée durant la séquence.

Par ailleurs, nous avons dit que le milieu étudiant est habitué aux incessantes mutations, justifiées par la population qui fréquente les bancs des Universités: jeune et qui n’a pas d’ambition à rester à croupir dans les BU.

Ce n’a jamais été aussi vrai depuis que les marchés européens ont pris la main sur les systèmes universitaires nationaux, afin de les unifier sous un marché commun de la connaissance.

Les étudiants sont moins devenus la future élite du Vieux Continent que la principale variable d’ajustement (avec nos vieux) des politiques libérales.

Dès lors, à mesure que l’on constate la paupérisation de nos chérubins, on remarque donc un réel phénomène d’harmonisation – par le bas – des conditions d’études et donc on ne peut que deviner l’émergence d’une aspiration nouvelle pour le corps étudiant, celle de s’organiser de manière plus démocratique et donc dans ce cas, de manière centralisée.

 

Un nécessaire besoin d’unité

Combien même l’Union Étudiante cherche à répondre à cette réalité, ce n’est pas en changeant de décor que la situation va s’améliorer.

Par exemple, il a fallu attendre 2017 pour que la FAGE devienne la première organisation étudiante représentative de manière pérenne et cela s’est fait d’ailleurs au prix des principes initiaux de l’organisation: à savoir un refus de tout discours politique, garde fou, selon les analyses de l’époque, de la lente transition de l’organisation vers un syndicat étudiant.

Il s’avère qu’aujourd’hui la FAGE n’est ni plus ni moins que le penchant de la CFDT dans le milieu étudiant, quant à la plupart des expériences syndicales hors de l’UNEF, elles se sont quasiment toutes soldées par un échec.

L’accueil, pour le plus ignoré et pour le moins moqué de l’Union Étudiante (dans le petit monde des réseaux sociaux, qui est d’ailleurs le seul endroit où l’on peut constater une quelconque activité militante de la nouvelle officine) montre bien qu’il est impossible de faire sans la grande sœur, combien même on la déteste.

Bien sûr, la main est tendue de la part de la première à cette dernière mais une fois passé l’effet d’annonce, l’on constatera que c’est une chose de faire scission, c’en est une autre de devenir une organisation.

Pour autant, on ne peut pas faire comme si l’affaiblissement structurel de l’UNEF était un signal positif pour le mouvement social. Le problème, c’est qu’en cherchant à sanctuariser un modèle éculé, ce n’est pas tant l’organisation que l’on fragilise, c’est surtout le lien que celle-ci tient à son milieu, durablement rompu.

Ce qui est certain, c’est qu’il faut faire le deuil d’une organisation qui soit la maison commune des courants politiques de la gauche. Chacun d’entre eux monte un syndicat qui correspond à sa ligne politique. C’est aussi l’image d’un milieu étudiant fragmenté.

Pour œuvrer à l’unité, commençons par ouvrir les portes des organisations aux étudiants, qui les boudent dans les grandes largeurs. Le meilleur syndicat étudiant est celui qui incarnera le mieux le visage d’un milieu qui change, en son sein et aux yeux de tous. Et pour l’instant, aucune proposition n’est en mesure de répondre au défi du syndicalisme étudiant.

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