Relaxe des membres de l’Alvarium : injustice de classe et impunité des groupuscules fascistes

Le deux poids deux mesures judiciaire s’est, une nouvelle fois, manifesté avec la décision rendue par le tribunal correctionnel d’Angers, jeudi 10 août 2023 à 22h30. Un mois après les violences urbaines qui ont émaillé la France suite au décès de Nahel, 17 ans, d’un tir de policier à Nanterre pour un refus d’obtempérer, quatre jeunes individus de la mouvance nationaliste comparaissaient au chef d’inculpation de regroupement en vue de commettre des violences, aux abords de leur local situé dans l’hypercentre angevin.

Des coups de pieds sur un homme à terre

Ces violences, les soirs du 30 juin, 1er juillet, 2 et 3 juillet 2023, ont effectivement eu lieu, en témoignent plusieurs enregistrements de la vidéoprotection de la Ville et de vidéos amateurs tournées au smartphone. L’un des quatre inculpés, que l’on voit clairement porter des coups de pieds à la tête et au corps d’un jeune homme déjà à terre, plaidera d’ailleurs coupable de ces faits, se défendant maladroitement par l’invocation de la légitime défense. Parmi les quatre prévenus, c’est le seul qui sortira avec une condamnation, pour le moins légère : trois mois avec sursis simple, sans aucune obligation de contrôle judiciaire.

Pour saisir l’affaire, il nous faut retourner dans le contexte des émeutes. La douceur angevine, qui fait la fierté de la capitale du Maine-et-Loire, a du plomb dans l’aile depuis quelques années : les manifestations du mouvement social sont plus sévèrement réprimées, et les vagues de violences urbaines dont la ville était exempte autrefois touchent, en ce début d’été 2023, certains quartiers dits « prioritaires », notamment celui de la Roseraie qui concentre pauvreté et frustrations.

En réaction à ce soulèvement des jeunes gens des quartiers pauvres, souvent mineurs, les membres du groupe de l’Alvarium s’organisent à leur tour. Officiellement dissoute le 17 novembre 2021 par un décret pris en Conseil des ministres, l’association d’ultra-droite qui fait de la provocation, la confrontation et la violence ses méthodes d’action privilégiées, existe toujours. Son local, situé 31 rue du Cornet, est presque deux ans plus tard toujours le lieu de regroupement des militants factieux, officiellement sous l’étiquette du Rassemblement Étudiant de Droite (RED), avec la même bénédiction du propriétaire, le millionnaire Axel Levavasseur, bien intégré à la bourgeoisie catholique de l’Anjou [1].

Montrer les muscles et blesser

Sur les images enregistrées, comme le savent de longue date les riverains et habitués des bars nocturnes situés à quelques dizaines de mètres du local du RED, les militants d’extrême-droite sortent en groupes de leur local cagoulés ou masqués, armés de battes de baseball et de bouteilles en verre, pour intimider le voisinage et les rares militants antifascistes qui s’aventurent aux abords. Les principales échauffourées ont lieu le premier soir, celui du 30 juin, quand une manifestation a lieu devant la mairie d’Angers à l’appel du Mouvement National Lycéen (MNL, syndicat de gauche) contre les violences policières. Le rassemblement n’est pas autorisé par la préfecture, mais une centaine de personnes y participent avant de se disperser en centre-ville. Certains des manifestants s’approchent de la rue du Cornet, entraînant des affrontements à l’issue desquels les seuls blessés à déplorer se trouvent dans les rangs antifascistes.

Le contexte des émeutes dans les quartiers pauvres a surtout servi de prétexte à l’ultra-droite locale pour montrer les muscles et faire une démonstration de force, dans un quartier évidemment bien éloigné géographiquement des violences urbaines. Les jeunes de l’Alvarium s’étaient donné rendez-vous ces soirs, du 30 juin au 3 juillet, pour en découdre, se préparant objectivement au combat par l’acheminement d’un certain nombre d’armes par destination, lesquelles ont été retrouvées lors de la perquisition effectuée par des officiers de police judiciaire dans la foulée des soirées de violences.

Le cas Gannat

Il est à noter la présence de Jean-Eudes Gannat, fondateur de l’Alvarium en 2017 et figure locale de la droite radicale. Seul véritable idéologue de l’organisation, il a été par deux fois candidat du Front National (FN, devenu Rassemblement National) en 2014 et 2015, un parti dont il déclare en 2020 avoir conservé « de bonnes relations avec certains de ses militants et cadres » mais auquel il reproche son « conformisme » [2]. Son père, Pascal Gannat, a été conseiller régional du FN et directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen [3]. Son frère, François-Aubert Gannat, a été condamné en 2019 pour violences sur un policier et provocation à la haine raciale [4], avant d’être à nouveau condamné en 2021, avec deux autres membres de l’Alvarium, pour avoir roué de coups le soir du 21 mai 2021 – à quinze contre cinq – quelques jeunes militants antifascistes dont le seul tort était d’avoir collé un autocollant sur la devanture du local rue du Cornet [5].

Lundi 24 avril 2023, Jean-Eudes Gannat est condamné par le tribunal correctionnel d’Angers pour diffamation envers l’adjoint au maire de Trélazé – commune limitrophe d’Angers – Izzet Albayrak, à qui il a dû verser la somme de 8.000 euros, après avoir ciblé l’élu dans une vidéo diffusée sur YouTube comme « Cheval de Troie de l’islamisme », notant intelligemment que M. Albayrak et d’autres élus de Trélazé portent des « noms qui ne sentent pas le bocage vendéen » [6].

Ce soir du 30 juin 2023, Jean-Eudes Gannat est donc au local du RED, bien que n’étant plus étudiant depuis plusieurs années. Il prend part activement aux expéditions armées des groupes de militants dans la rue du Cornet. Jeudi 10 août, il explique sa présence dans le local d’extrême-droite ce soir-là par la volonté de se mettre à l’abri en raison de la manifestation contre les violences policières, dont il dit ne pas avoir eu connaissance avant de se rendre à Angers pour faire du shopping. Devant la cour, il déclare notamment avoir eu peur de voir son véhicule dégradé par les militants antifascistes s’il avait été reconnu en train de conduire en centre-ville, et que n’étant pas propriétaire du local de la rue du Cornet, mais propriétaire de sa voiture, il a opéré un choix d’une logique implacable.

Circonspection balayée

Le tribunal correctionnel d’Angers, saisi pour juger les quatre individus d’ultra-droite cet après-midi du 10 août 2023, reste circonspect devant certaines déclarations des prévenus, qui comparaissent libres. Le président de tribunal s’étonne, entre autres, que l’un d’entre eux déclare ne pas s’être préparé à la moindre violence tout en assumant avoir acheminé, depuis sa voiture jusqu’au local, un certain nombre de bâtons de bois pouvant servir de matraques. Il relève également ne pas comprendre pourquoi certains militants de feu l’Alvarium sortent masqués ou cagoulés, en plus d’être armés, quand les accusés disent être de toutes façons identifiés par leurs noms et leurs visages via un trombinoscope mis à jour par « l’extrême-gauche ». Il semble aussi déconcerté par la réunion de ces militants qui expliquent se mettre à l’abri dans le lieu le plus emblématique de la droite radicale d’Angers, et donc le plus potentiellement visé par les antifascistes. Il s’interroge enfin sur l’absence d’appel à la police le soir du 30 juin 2023 de la part des protagonistes, en vue de voir leur local protégé, alors même que ces militants admettent entretenir d’excellentes relations avec la police nationale qui a pour habitude de les protéger des « hordes » d’extrême-gauche.

Les quatre prévenus, devant le tribunal correctionnel d’Angers – juridiction pour les délits graves, l’échelon supérieur dans la justice pénale consistant en la Cour d’assises – ont été très bien conseillés par des avocats de la défense, venus de Paris – pour deux d’entre eux – et de Toulouse, qui ont cherché à exploiter la moindre faille judiciaire pour obtenir la nullité des gardes à vue, de la perquisition du local et de la procédure entière, en vain. Si l’examen de leur personnalité aura été d’une rapidité fulgurante dans les débats du tribunal, c’est à coup sûr parce qu’ils présentent tous une situation sociale considérée comme exemplaire – l’un d’entre eux a son affectation en Master de droit privé, deux d’entre eux sont employés en Contrat à durée indéterminée (CDI) tandis que Jean-Eudes Gannat est traiteur à son compte.

Réquisitions peu sévères et non-suivies

Les réquisitions de Madame la Procureure n’étaient d’ailleurs pas sévères. Des condamnations à des peines de sursis simple pour l’essentiel, de douze mois tout au plus pour le prévenu ayant avoué devant la cour avoir commis des violences sur une personne au sol. Seule mesure réellement coercitive requise pour les quatre prévenus par la procureure, l’interdiction de paraître à Angers pour une durée de deux ans à compter de la condamnation.

Mais, ce soir du 10 août 2023, les quatre militants d’extrême-droite sont repartis libres comme l’air, sans interdiction de paraître à Angers, seul celui ayant reconnu avoir commis des violences étant condamné à six mois de sursis simple, les trois autres – dont M. Gannat – ayant été relaxés.

Si une telle délibération a été rendue par les trois juges du tribunal correctionnel d’Angers, ce n’est pas parce qu’ils ont agi en situation de légitime défense, laquelle doit répondre à trois critères selon la loi française : la légitime défense est immédiate, légitime et nécessaire. Ces trois critères n’ont, de toute évidence, pas été réunis en l’espèce et la préméditation de « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences », le chef d’inculpation commun aux quatre prévenus, sautait aux yeux de toute personne ayant suivi les débats.

Bien que refusant de reconnaître, pour des raisons logiques, la légitime défense, le tribunal correctionnel d’Angers a relevé l’état de nécessité et déclaré l’irresponsabilité des prévenus, conduisant donc à la relaxe. La justice s’est montrée, comme d’ordinaire en France, faible avec les forts. Ces derniers, ce sont des membres de la bourgeoisie locale, organisés depuis des années au sein d’une association qui prône la haine et la violence au point d’avoir été dissoute par le gouvernement il y a moins de deux ans, et qui a, de nouveau, bénéficié d’une impunité totale dans son activisme féroce.

Sous couvert de libéralisme, les institutions baissent les bras

Aucune décision de justice ne peut être extraite du contexte politique, a fortiori lorsqu’elle concerne des militants d’une mouvance particulièrement radicale. La vague réactionnaire qui transforme peu à peu les représentations collectives et les relations sociales s’abat sur la France avec la bénédiction des institutions qui, sous couvert de libéralisme politique, ont baissé les bras face à la menace fasciste. Les signaux faibles se multiplient devant la banalisation et l’impunité des mouvements politiques violents, xénophobes et poursuivant le but avoué de créer les conditions d’une guerre civile dont les seules victimes seront les membres des classes exploitées.

Cette relaxe collective est à mettre en regard de l’extrême sévérité qu’ont subie les jeunes gens passés, le mois dernier, en comparution immédiate pour avoir participé aux émeutes, parfois pour n’avoir été qu’au mauvais endroit au mauvais moment, et qui ont été incarcérés à tours de bras par les tribunaux correctionnels de France et de Navarre. « Des mandats de dépôt, des mandats de dépôt, des mandats de dépôt… pour des faits mineurs » constatait alors Me Camille Vannier, pour qui « la justice est totalement instrumentalisée » [7]. « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » : ainsi se termine Les animaux malade de la Peste [8]. Jean de la Fontaine l’a écrit en 1678.

Références

1 : https://www.streetpress.com/sujet/1685464152-millionnaires-angevins-sponsors-extreme-droite-violente
2 : https://www.mediapart.fr/journal/france/181120/dissous-le-bastion-social-se-reconstitue-sous-de-nouvelles-identites
3 : https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/10/29/ultradroite-un-bar-d-angers-menace-de-dissolution-par-gerald-darmanin_6100388_823448.html
4 : https://www.lemonde.fr/enquetes/article/2017/11/28/les-terreurs-brunes-du-grand-ouest_5221259_1653553.html
5 : https://www.liberation.fr/politique/angers-tabasses-par-des-militants-dextreme-droite-pour-un-autocollant-20210523_SEMMCMTD5FAIZKJTJZX373UE2I/
6 : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/reconnu-coupable-de-diffamation-lex-leader-du-groupe-identitaire-lalvarium-condamne-cbb3302a-e281-11ed-b514-8dd13d8be671
7 : https://www.bfmtv.com/police-justice/jamais-vu-ca-apres-les-emeutes-en-france-des-peines-tres-severes-prononcees-par-la-justice_AV-202307040860.html
8 : https://gallica.bnf.fr/essentiels/fontaine/fables/animaux-malades-peste

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *