La responsabilité politique des mères célibataires

Derrière ce titre provocateur se cache un hommage pour ces parents, des fois pères mais, bien plus souvent mères qui se battent seuls pour élever des enfants.  

Comme dirait l’autre, tout le monde sait comment on fait des bébés mais personne n’a idée d’être un parent. En général, puisqu’il faut être deux pour en faire, la norme hétérosexuelle est de les élever ensemble. Ainsi, en France, c’est la famille nucléaire qui est le modèle encore dominant.

Inutile de faire de dessin car tout le monde sait à quoi cela renvoie: la famille nucléaire c’est quand on a sa petite femme ou son petit mari, ses deux enfants, la maison dans un quartier résidentiel, le chien et la piscine. 

Malgré cette image d’Epinal, se dessine une tendance à  la multiplication de situations familiales dites atypiques et parmi la plus connue: la famille monoparentale, lorsque un parent s’occupe seul de son foyer et de ses rejetons.

En règle générale, ce n’est une situation favorable pour personne. L’organisation patriarcale du travail prévoit qu’un membre du couple ramène l’argent tandis que l’autre s’occupe de la bonne tenue de la maison. Ce dernier rôle est souvent dévolu aux femmes. 

Dans ce cas précis, celles-ci doivent donc travailler, souvent en sacrifiant l’épanouissement de leur progéniture, en échange d’une relative stabilité matérielle. 

Et encore, quand on dit ça, cela se cantonne au domaine théorique tant les situations individuelles sont différentes et  toujours difficiles.  

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Tout à commencé lorsque les quartiers de banlieues françaises se sont embrasés, à la suite du décès de Nahel Merzouk.

L’adolescent de 17 ans a trouvé la mort, abattu par un policier, suscitant d’abord l’emoi puis une vive réaction, surtout parmi les plus jeunes dans les cités, qui se sont mobilisés, violemment. Au crépuscule du mois de juin et à l’aube du mois de juillet, des centaines de jeunes ont affronté les forces de l’ordre dans des scènes de chaos écorne la crédibilité de la start-up nation. 

L’élite parisienne, non contente d’omettre la responsabilité évidente du politique, a préféré rejeter la faute sur d’autres. 

Tout d’abord, et bien évidemment, sur les immigrés. Non pas qu’il paraîtrait impensable que des petits blancs, bien de chez nous, venant de cette campagne dont on se rappelle uniquement pour mieux l’opposer aux centres urbains, puissent en venir à tout casser. C’est justement dans ces moments-là qu’on adore monter la France périphérique contre les quartiers oubliés de la République.

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Tout d’abord, rappelons que notre président, dans une vie antérieure à celle qu’il avait comme banquier de Rotschild, a travaillé avec Paul Ricoeur, dont il a, semble t-il, gardé l’analyse pertinente. Ainsi, le président de la République, en plus de s’attaquer à ces noirs et arabes qu’on ne saurait voir, a rappelé que le problème venait AUSSI de ces parents isolés, incapables de cadrer leur gosse.  

Cocasse venant de la part de quelqu’un qui s’est marié avec une personne qui pourrait être sa mère et dont les beaux-enfants pourraient être ses propres frères et soeurs

Au fond, Emmanuel Macron rappelle (au cas où on l’aurait oublié) ce que signifie être ultra libéral: là où l’État ne pouvait pas tout, il faut dorénavant ne s’attendre à rien de lui. 

LE TÉMOIGNAGE D’UNE MÈRE 

C’est ainsi que nous avons reçu le témoignage d’une mère célibataire, dont nous avons choisi de préserver l’anonymat (disponible en fin d’article, NDR). 

Cette femme est blanche mais il s’avère qu’elle est tombée amoureuse d’un marocain et de cette union naquirent trois garçons. 

Les aléas de la vie font que les parents se sont séparés, qu’elle a obtenu la garde des enfants et qu’elle a occupé le rôle de père et de mère de famille, jonglant — difficilement — entre sa vie professionnelle et familiale.

Même si leur vie avait peu de choses à voir avec celle des gamins de quartiers, ils se retrouvent quand même amalgamés, malgré eux, dans cet affligeant discours présidentiel. 

En effet, ses enfants n’ont pas connu la délinquance, bien au contraire: ils ont tous au moins obtenu leur baccalauréat, alors que les conditions de vie pouvaient être rudes, entre déménagements et beaux-pères successifs. 

Ils ont profité d’une scolarité normale, à l’école puis l’université publiques, n’ont jamais manqué de rien, ni dans leur assiette ni dans leur tête, bien aidés par le tissu familial, social, culturel et/ou sportif alors que les fins de mois étaient acrobatiques, et qu’ils souffraient comme tout à chacun de racisme ordinaire. 

Bien sûr, l’absence du père a pu peser. Peut-être ont-ils fait les 400 coups, parce qu’il faut bien que jeunesse se passe. 

Mais ceci ne nous regarde pas… S’agirait-il de les qualifier de voyous  pour avoir séjourné en garde à vue pour vol de nains de jardin en garde-à-vue ou pour avoir consommer un joint de cannabis ? 

PARLONS MONOPARENTALITÉ 

Ce destin est personnel mais n’est pas si singulier, il met d’ailleurs en lumière certaines données appuyées par l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE, ndr) pas plus tard qu’en 2020, c’est-à-dire presque hier. 

Voilà ce qu’on y apprend, pêle-mêle: pour 82% des familles monoparentales, le parent isolé est une femme; un quart des familles en France sont monoparentales et parmi elles, encore un quart d’entre elles vivent dans des logements surpeuplés, majoritairement en location, régulièrement des logements sociaux; l’écrasante majorité des mères célibataires sont sans emploi (77,4%) et 40% des enfants de parents célibataires sont pauvres. 

Ces chiffres, glaçants, pourraient presque donner raison au président Macron. Face au risque de précarité, de pauvreté voire d’indignité, les enfants de parents célibataires auraient le mobile parfait pour mettre les banlieues à feu.

Est-ce pour autant la faute de nos mères si elles sont condamnées à vivre dans des conditions indigentes pour élever leurs enfants ? N’est-ce pas hypocrite d’incriminer celles et ceux qui survivent dans un monde à la logique déjà violente pour tout à chacun, ne leur donnant aucune clé pour leur émancipation, surtout quand on est président de la République française ?

ANNEXE: témoignage d’une mère de famille

Un lien est trop souvent fait entre émeutes et enfants d’étrangers (de la 1ère, deuxième ou nième génération, de préférence maghrébins ou africains « noirs » peu importe) mais aussi entre émeutes et familles monoparentales avec une petite musique ténue mais entêtante : les enfants vivant avec leur mère auraient un problème avec l’autorité. Donc une famille c’est mieux quand c’est un papa blanc et une maman blanche, sinon on est sur une pente glissante celle de la délinquance. Les femmes seules élèvent « mal » leurs enfants. 

Rappelons que notre président, dans une vie antérieure à celle qu’il avait comme banquier de Rotschild, a travaillé avec Paul Ricoeur, dont il a surtout gardé l’analyse pertinente de l’érudit. 

En plus de s’en prendre donc à ces noirs et arabes qu’on ne saurait voir, il a indiqué que le problème venait de ces femmes seules, incapables de cadrer leur gosse.

C’est ainsi que nous avons reçu le témoignage d’une mère célibataire, dont nous avons choisi de préserver l’anonymat. Cette femme est blanche mais il s’avère qu’elle est tombée amoureuse d’un marocain, et de cette union naquirent trois garçons. Les aléas de la vie font que les parents se sont séparés, qu’elle a gardé la garde des enfants et qu’elle a occupé le rôle de père et de mère de famille, jonglant — difficilement — entre sa vie professionnelle et familiale.

Que le lecteur se rassure, ses enfants n’ont pas fini délinquants, bien au contraire. Comme quoi, l’analyse de M. Macron n’a pas force de loi sociologique. 

Qu’on me permette de parler de mon expérience. Mère de trois enfants ayant un patronyme à consonance marocaine, je n’ai pas à me plaindre : ils ont connu une scolarité très honorable, au lycée et dans l’enseignement supérieur, n’ont jamais pillé ni incendié de voiture !

Dois-je en conclure, aisément, que je les ai « bien » élevés, que je suis une mère exemplaire et m’en enorgueillir ?  Oui mais non,  un destin individuel ne saurait s’ériger en modèle.

La réalité est autre : même si parfois, les fins de mois ont été difficiles avec mon seul salaire (ben oui leur père avait disparu des radars), j’appartiens à ce que l’on peut qualifier de « petite bourgeoisie » intellectuelle, désargentée, certes mais pas tant que ça.

Autonome dans mes horaires de travail que je pouvais organiser à ma guise, je disposais en outre de moyens financiers me permettant de les faire garder si nécessaire, de leur offrir loisirs, vacances et activités sportives. Nous habitions dans une maison individuelle à la campagne. Sans compter qu’en cas de besoin la solidarité familiale (enfin celle qui repose sur le lien mère-fille : un grand classique sociologique, là encore !) jouait à plein pour prendre le relais quand j’avais des obligations professionnelles à l’étranger ou syndicales dans la capitale.

Dans ce milieu privilégié, mes fils ont été relativement protégés du racisme (relativement quand même on n’est pas à l’abri de crétins) et de contrôles policiers tatillons voire inquisiteurs. Enfin pas toujours !

Dans un autre contexte, je ne sais pas si habitant un quartier de relégation, ils n’auraient pas exprimé les impasses de leur jeune existence dans la révolte  face à une « république » qui se targue d’égalité en une sorte de mantra désincarné.

Là, je pense qu’on m’a bien compris : les enfants de famille monoparentales vivent une misère de position et de situation, sont surreprésentés dans les quartiers populaires et enfermés dans la pauvreté. Et on attendrait d’eux qu’ils s’expriment sur les canaux légitimes de la protestation, qu’ils convertissent dans l’action collective (politique ou non) leurs aspirations ? 

A quel moment la supposée « égalité républicaine » est venue les tirer d’affaire, a tendu la main à leur mère pour favoriser leur employabilité, pour mettre à disposition des modes de gardes suffisants et accessibles, leur a permis de vivre ailleurs que dans des grands ensembles concentrant les problèmes sociaux ? 

Il faut redevenir sérieux et oser une analyse en termes de rapports de classe, de domination et rappeler que les mères isolées ne sont pas défaillantes, elles sont laissées pour compte et parce que femmes  et disqualifiées par le patriarcat ambiant .

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