Comment l’extrême-droite a profité de l’été

Le 7 juillet dernier, le leader angevin du groupuscule fasciste l’Alvarium, Jean-Eudes Gannat, a été incité à comparaître immédiatement. En cause, des vidéos l’identifiant, avec des compagnons, frapper des manifestants à coût de matraque.

Ce groupe factieux n’est que l’entité locale de cette cosmogonie nauséabonde. De manière générale, il n’a pas fallu attendre la mort de Nahel pour se rendre compte que l’extrême-droite se renforce dans notre pays. 

 

Le chef de cette milice improvisée est d’ailleurs apparu très serein quand il est passé à la barre. Comme un symbole, la juge a renvoyé le procès a une date ultérieure, alors qu’elle n’a pas hésité à émettre des jugements expéditifs pour ceux qui auraient eu le tort de participer aux émeutes.

Le prétexte qu’invoquent ces militants de la barre de fer pour se justifier est toujours plus au moins le même : face à la faillite de l’Etat, il faut bien qu’il y en ait qui défendent le patrimoine, la culture, ce que vous voudrez, du moment que ce soit face aux étrangers et aux gauchistes. 

 

C’est que M. Gannat n’est pas à son coup d’essai. On peut même dire que sa réputation le précède. Les manifestants ont malheureusement appris à composer malgré de tels agissements. 

Pour autant, avoir été pris en flagrant délit de ratonnade démontre à quel point l’extrême-droite profite des émeutes afin de se renforcer.

A Angers, comme ailleurs, le fascisme se développe. Décryptage 

 

Pourquoi l’extrême-droite s’embarrasserait de parler, quand on parle pour elle ?

 

Si Marine Le Pen, candidate annoncée pour le Rassemblement National en 2027, s’exprime finalement peu durant cette séquence, ses thèses sont présentées, par la presse mainstream, comme la solution aux maux de la France. 

Le cadavre de Nahel était à peine refroidi que les vautours de la presse dominante agitaient les ailes de la guerre civile.

Dans cette période plus que nauséabonde, rappelons qu’un adolescent s’est fait tirer dessus par un représentant de l’ordre. C’est vrai que cela semblerait presque incongru de le dire tant le meurtre de l’adolescent est passé au second plan du traitement médiatique. 

 

A ce titre, le Rassemblement National peut exprimer sa gratitude à ses alliés de circonstance, en la personne des Républicains. Le parti, fondé par Nicolas Sarkozy, ne prend même plus la peine de prendre des pincettes.

La sécurité est une thématique historiquement maîtrisée par la droite traditionnelle. Rappelons que le général de Gaulle faisait déjà dans les années 60 de la lutte contre la « chienlit » sa priorité. Cependant, ce qui a toujours distingué la droite de son extrême, c’est son rapport aux institutions, et donc à la république. 

Depuis qu’on banalise les discours haineux, la donne a semble t-il changé. On constate un lent mais réel alignement sémantique entre LR et le RN.  

  

Quand, on voit les prises de parole de MM. Eric Ciotti ou Bruno Retailleau, on est en droit de se demander si cette surenchère pourrait être valable même au bistro… Dans leur quête désespérée pour se trouver un électorat, ils finissent par singer les postures politiques du Rassemblement National.

Cette situation est favorisée par la fragmentation et l’éparpillement de la droite, incapable d’opérer la synthèse entre les blocs libéraux et autoritaires. On ne peut qu’y voir l’image d’un déchirement au sein même de la classe dominante, tiraillée entre le maintien du système en place tout en étant tenté de livrer la France à la guerre civile et au fascisme. 

 

L’autre partenaire, fiable et loyal, ce sont les syndicats de police qui, non contentes de perdre leur légitimité auprès d’une frange non-négligeable de la population, jouent aux pompiers pyromanes.

Assez paradoxalement, il semblerait que l’opinion publique garde tout de même une image positive des force de l’ordre [1]. 

 

Après tout, quand on est sensé rétablir l’ordre public alors que les deux organisations majoritaires – Alliance et UNSA-Police pour ne pas les citer – appellent à la guerre, on ne se dit pas que la situation va être stabilisée demain. 

Il n’est pas inutile de rappeler que le nombre de policiers déployés est environ 4 fois plus important qu’en 2005, lorsque les banlieues avaient pris feu, suite à l’assassinat de Zyed et Bouna.

De manière générale, la répression est plus féroce aujourd’hui que lors des émeutes ayant secouées le pays il y a 18 ans [2].

 

Récapitulons donc, environ 45.000 policiers, préparés à la « guerre » plutôt qu’à « l’action syndicale », sont déployés afin de stabiliser une situation qui est la conséquence d’une énième bavure policière. 

Peut-être devrions nous réviser notre jugement, ce n’est pas demain que la situation va être stabilisée, c’est plutôt jamais !

 

Les fascistes battent le pavé

 

Si l’extrême-droite est bien aidée par un contexte qui favorise son implantation, elle ne fait pas « rien », comme on peut l’entendre des fois.

Bien au contraire, les fascistes battent le pavé, tout en menant la bataille idéologique.

 

Sur cette dernière, nous en voulons pour preuve la pétition de la honte, initiée par M. Jean Messiha. 

Ici, l’ancien porte-parole d’Eric Zemmour, agit comme une courroie de transmission d’Alliance et d’UNSA-Police. 

 

Au-delà de la somme – scandaleusement conséquente – , ce qui se joue, c’est la légitimité de son action politique. Si nous sommes en guerre, alors l’argent en est son nerf. 

Car au-delà de l’image, c’est environ 85.000 personnes qui ont donnés, confirmant qu’il existe un soutien conséquent aux thèses les plus rétrogrades. Si on faisait la moyenne des gens qui avaient donnés, on se rendrait même compte que les sommes versées sont petites, traduisant un appui populaire, pour autant que ça veuille dire quelque chose dans ce contexte.  

 

Profitant des émeutes, cette initiative montre encore la capacité de la nébuleuse factieuse à investir le débat public, notamment via sa présence numérique. Nous n’allons plus présenter les youtubeurs fascistes mais l’augmentation de leur audimat en cette période en est symptomatique.

Là encore, la déferlante de commentaires abjects sur la situation révèle la complicité d’un réseau social comme Twitter, propriété du très réactionnaire Elon Musk, qui, sous prétexte de la liberté d’expression, favorise le développement de discours haineux. 

 

Dans leur propagande politique, ils peuvent aussi s’appuyer sur ce personnel qui investit de plus en plus les postes à responsabilités, comme Geoffroy Lejeune.

Renvoyé du très conservateur Valeurs Actuelles, pour des positions trop outrancières, le milliardaire Vincent Bolloré a jugé bon de le recycler en tant que rédacteur en chef du très sérieux Journal du Dimanche. 

 

Ainsi, on ne peut que craindre la mainmise de l’extrême-droite sur l’information, tout en étant dans la position de pouvoir écarter les vrais sujets.

 

Et le vrai sujet, c’est la massification de leur pratique militante, celle de Jean-Eudes Gannat.

Des groupuscules, il y en a toujours eu mais leur présence est désormais permanente. Là encore, il faut aller à Angers pour le constater : un commerce tenu par des soutiens actifs de l’Alvarium vient de s’installer dans les nouvelles halles marchandes, en plein cœur de ville. 



La déliquescence de l’État bourgeois

 

Nous avons vu concrètement comment s’organisait les fascistes pour se développer en France mais ils ne pourraient pas le faire si le libéralisme n’était pas un modèle déficient. 

L’extrême-droite apparaît comme une alternative crédible parce que le discours dominant n’imprime plus jusque dans les plus hautes sphères de la société. 

Il faudrait écouter Geoffroy Roux de Bézieux, quand il affirme au micro de France Inter que le premier employeur de la Seine-Saint-Denis, c’est la drogue [4].

 

Si le gouvernement de Macron semble inaudible, c’est moins à cause de sa déconnexion au réel que parce qu’il est à la fois submergé par la révolte populaire et lâché par les ultras-riches, ceux dont ils sont sensé être à la botte. 

Par voie de conséquence, sa méthode est devenue schizophrène : d’un côté, Elisabeth Borne appelle au calme, quand de l’autre la police de Darmanin est en « guerre » et que la justice de Dupont-Moretti condamne à tour de bras. 

 

Les services publics sont devenus effectivement inopérants. Alors que la justice voire même la police – par l’intermédiaire de la CGT-Police – réclament plus de moyens, de personnels, de formations, de confiance aussi, l’État, en se désinvestissant a fini par déserter des endroits, aujourd’hui bel et bien exclus. Même si ce que nous disons est un poncif, il est important de rappeler.

 

Toute l’encre utilisée pour la rédaction de cet article nous fait aboutir à une conclusion. La responsabilité qui incombe à la gauche est de faire revenir dans la politique celles et ceux qui en sont éloignés, d’organiser la colère. Si à l’avenir cela se devait se jouer entre les fascistes et nous, nous avons avec cette séquence la preuve formelle qu’ils sont devenus, hélas, assez forts pour gagner.  

 

[1] « Emeutes urbaines suite à la mort de Nahel : l’opinion condamne massivement les violences », ELABE, 4 Juillet 2023. https://elabe.fr/police-emeutes-urbaines/

« Le regard des Français sur la police et les violences après la mort du jeune Nahel », Ifop pour Le Figaro, Juin 2023. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/07/120189-Rapport-30.06.2023.pdf

 

[2] « Des violences urbaines plus intenses en 2023 qu’en 2005 », Le Point, 4 juillet 2023. https://www.lepoint.fr/politique/des-violences-urbaines-plus-intenses-en-2023-qu-en-2005–04-07-2023-2527382_20.php

 

[3] LACROIX F., TRECA-DURANT Y., « La présence des Blancs de l’Ouest dans les futures halles d’Angers fait polémique. », Courrier de l’Ouest, 09/05/2023. https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/angers-commerce-la-presence-des-blancs-de-louest-dans-les-futures-halles-fait-polemique-6256fcce-eb5f-11ed-ac96-1441ecffeb34

 

[4] « La drogue « premier employeur » de Seine-Saint-Denis : le département s’insurge contre le président du Medef », Le journal de Saône-et-Loire, 4 juillet 2023. https://www.lejsl.com/politique/2023/07/04/la-drogue-premier-employeur-de-seine-st-denis-le-departement-s-insurge-contre-le-president-du-medef

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