Broadcast yourself
LA SOUPE ANGEVINE EST DISPONIBLE EN PODCAST
L’annonce a autant fait l’effet d’une bombe dans le petit monde de l’influence qu’elle est passée inaperçue dans le centre-ville d’Angers: en quelques semaines, les mastodontes du “Youtube game” de la cité des Ducs – Amixem, Joyca, Mastu et VodK – ont annoncé l’abandon de leurs projets phares, à savoir la Redbox, le LOAT et l’Unicorn House.
Pour la plupart d’entre eux, il s’agit d’un déménagement des locaux à Paris. Pour VodK, qui a lancé à la sortie du Covid son projet de tiers-lieu, l’Unicorn House, on peut dire que la sauce n’a jamais pris et a dû déposer le bilan.
L’établissement se situait dans le quartier de Belle-Beille, à proximité de l’université, sur la nouvelle ligne de tramway mais n’a jamais su trouver son public, brisé par la concurrence de Chope et Compagnie, une enseigne similaire à V&B, chaîne mayennaise de distribution d’alcools.
A l’heure où nous vous parlons, ce dernier continue son activité de vidéaste mais on peut s’interroger à l’avenir de la pérennité de son business model.
La chute de Skynet
Pour celles et ceux qui ne sont pas familiers de l’écosystème Youtube, voici un petit récapitulatif.
A l’origine, un slogan: “broadcast yourself”, en français, diffusez-vous. C’est comme ça que s’est vendu la plateforme au monde entier.
C’était la promesse de ce qui va devenir, avec le temps, le plus gros hébergeur de vidéo au monde. Instantanément, ce média a produit ses stars, feu Keyboard Cat en est témoin.
C’est l’histoire d’un chat – très mignon, il faut l’avouer – qui va jouer du piano et devenir une icône, en étant vu des dizaines de millions de fois. C’était même la vidéo la plus vue au monde.
Aujourd’hui, elle totalise 76 millions de vues, c’est plus que la population française !
Pour autant, la vidéo Baby Shark, qui est la plus vue au monde à l’heure où nous écrivons l’article, totalise 14 milliards de vues, c’est comme si chaque Français l’avait vu 208 fois, bien qu’elle soit insupportable avant même la fin de la première écoute…
Une fois cet élément de contexte posé, on comprend facilement que des acteurs économiques ont cherché à produire du contenu afin de le vendre et c’est là qu’intervient Amixem, pseudonyme de Maxime Chabroud.
Il crée sa chaîne Youtube en 2012 et l’axe sur le gaming (fait de jouer aux jeux vidéo, NDR) et le react (fait de réagir à d’autres vidéos, NDR).
En d’autres termes, Amixem est un vidéaste spécialisé dans le divertissement. Ce genre de contenu est particulièrement lucratif sur la plateforme détenue par Google et a permis, surtout il y a une dizaine d’années, l’émergence de toute une nouvelle scène en France.
Si le grand public ne peut pas passer à côté du phénomène Squeezie, en particulier depuis la série Prime qui lui est consacrée, Merci Internet ou avec l’événement du GP Explorer, il faut comprendre qu’il n’est pas seul.
D’autres producteurs de contenus sont des stars, en particulier parmi les plus jeunes et quand on dit les plus jeunes, on parle parfois d’une population qui vient à peine d’entrer au collège.
La spécificité d’Amixem est de s’être lancé très tôt, en indépendant. Il a réuni autour de lui d’autres vidéastes alors peu connus (Joyca, VodK, Mastu et Neoxi) dans une ville de taille moyenne (Angers), là où le microcosme se trouvait dans les grandes métropoles, en particulier Paris et Lyon.
En achetant un local qu’ils vont baptiser la Redbox, dans la commune de Beaucouzé, en banlieue d’Angers, l’équipe va ériger un business en modèle qui sera copié, imité, singé mais pas toujours égalé.
La fierté d’une ville
Ce qui est important de comprendre, c’est que l’écosystème des vidéastes numériques, bien qu’installé, n’est pas structuré. Pour faire simple: c’est le far west.
La législation évolue et cette situation tend à disparaître mais pour percer, il faut être sans foi ni loi et dans cet exercice, Amixem n’a pas d’équivalent.
De ce point de vue, l’histoire de la Redbox, c’est l’histoire d’une success story angevine: des vidéastes qui ont cherché leur indépendance vis-à-vis de la capitale, aidée par les pouvoirs publics, qui voyait là les meilleurs promoteurs de la smart city, le projet idéologique de Christophe Béchu, le maire d’alors, qui n’est pas, lui non plus, un enfant de coeur.
Ce qui paraît banal aujourd’hui a pû représenter une petite révolution à l’époque.
Si le CNC fait de la promotion de jeunes talents, si Arte a créé un hub de “youtubeurs vulga” (pour vulgarisateur, NDR), si on trouve des boîtes de productions jusqu’à Pau qui travaillent avec Amixem (lien disponible en accès payant, NDR), c’est bien parce que la mairie de droite a eu le nez fin, avant tout le monde.
Il est difficile de penser que fut un temps, pas si éloigné, les acteurs du numérique étaient considérés, en particulier par les pouvoirs publics, comme une bande de fumistes immatures.
La ville a compris que ce qui se jouait, c’était des nouvelles habitudes de consommation et que le succès des vidéos sur des plateformes tel que Youtube ou Twitch (plateforme de diffusion en direct, NDR) allait dépasser l’audimat de la télévision.
Nous en voulons pour preuve l’organisation d’Angers Geekfest, dont la première a eu lieu entre deux confinements, en octobre 2020 et qui fut un succès retentissant, tout comme les suivants, qui ne cesse d’attirer toujours plus de monde, dans un espace qui s’étend année après année.
Là où le bât blesse, c’est qu’aucun des pontes ne semble avoir été sollicité pour animer l’évènement alors que la ville doit sa notoriété dans le monde du numérique en grande partie à la Redbox.
Un problème d’ancrage territorial
Annoncé en grande pompe, l’Unicorn House a représenté tout ce qui ne va pas dans la démarche des entrepreneurs angevin du web.
A priori, l’idée est excellente. Le lieu se situe près du campus de Belle-Beille, qui a pendant longtemps cruellement manqué d’établissements de loisirs à destination des étudiants. De plus, l’arrivée du tramway aurait dû faire les affaires du jeune entrepreneur.
Il n’en a rien été. L’erreur de VodK est la même que toutes les personnes qui ont cherché à investir le lieu avant lui. En effet, Unicorn House se trouve sur l’ancien site de Bull, une entreprise emblématique du quartier, spécialisée en informatique professionnelle et cyber-sécurité.
Il y a d’ailleurs encore des groupes comme Acer ou Atos qui sont sur le site mais l’endroit en question a été désaffecté et très rapidement, des établissements de loisirs ont vu le jour.
Pour l’anecdote, c’est d’ailleurs Atos qui a racheté Bull et a été à l’origine de la délocalisation de la plupart des activités, en particulier celles attaché à l’industrie.
Les plus anciens se souviennent notamment de la Cage, dont le concept est exactement le même qu’Unicorn House, le succès du propriétaire en moins.
Les anciens tenanciers voulaient capitaliser sur un lieu où les étudiants comme les salariés qui travaillent dans la zone industrielle aux alentours pourraient se défouler, profitant de la perspective de la nouvelle ligne.
Hélas, le lieu en lui-même, beaucoup trop grand et mal adapté pour des activités de villégiatures (rappelons qu’il s’agit, à la base, d’un bâtiment industriel) qui plus est difficile d’accès en l’absence du tramway a eu raison de toutes velléités d’investissement.
Il s’avère que VodK n’a pas fait exception. Cela pose donc la question de la volonté des vidéastes à s’inscrire sur le territoire.
En ce qui concerne M. Palun, sous qui se cache VodK, on peut se demander qui l’a conseillé d’investir dans un endroit dont l’expérience a déjà prouvé qu’il était difficile d’occuper. Ne connaissait-il personne à Angers pour lui raconter l’histoire de la Cage ?
On ne peut que souhaiter le meilleur à ces personnages publics, qu’on a vu grandir, qu’on a appris à aimer (ou détester) mais il faut aussi s’interroger sur la suite à Angers car, au-delà de leur départ, c’est toute la communauté qui en pâtit.
Angers ne fait pas exception mais bénéficie tout de même d’une communauté installée avec des infrastructures emblématiques. On peut parler de ses bars, comme le Level Up mais il a fermé.
Au delà du Angers Geekfest, on pouvait aller en convention jusqu’à Saint-Jean-de-Linières, commune de deuxième couronne. Là encore, elle n’existe plus. Aujourd’hui, il semble que les geeks n’aient plus voix au chapitre dans la smart city, à moins de se condamner à devenir de vulgaires consommateurs.
Des établissements spécialisés qui s’installent, il y en heureusement a à la pelle. Par exemple le Warhammer Shop, en plein centre ville, pour le plus grand plaisir des amateurs de figurines. La question qui se pose, c’est celle de la démarche.
Être “geek”, c’est, à l’instar du “skateur”, du “punk” ou du membre de la “communauté hip-hop”, c’est faire partie d’une contre-culture. D’ailleurs, si nous mettons des guillemets, c’est que nous savons pertinemment que les termes employés sont de l’apanage de ceux qui n’en font pas partie. Peu de “geeks” se définissent comme tels.
Il est par ailleurs intéressant de noter le glissement sémantique induit par le terme “pop culture” – qui reprend essentiellement des éléments de la culture “geek” – comme si, en devenant un fait admis dans la société, le “geek” devenait trending et donc susceptible de représenter un débouché pour le marché.
Ce qui est important de comprendre, ce n’est pas parce qu’on fait de l’argent en singeant les codes d’une sous-culture que l’on en fait partie.
De pont et de planche
Quand on observe la carrière d’Amixem, on ne peut que constater qu’il ne fait pas du tout partie de cette dernière.
Il ne s’agit pas de se désoler qu’il ne participe pas à tous les jeux de rôles du val de Loire mais M. Chabroud n’a jamais pensé le contenu autrement que pour s’accaparer des parts de marché. Nous en voulons pour preuve sa ligne de vêtements Spacefox.
Le vidéaste s’est toujours présenté comme “fan d’espace” mais le nombre de vidéo traitant de près ou de loin de cette thématique est faible en réalité. Autant plausible que soit sa passion pour le Vide, on remarque surtout qu’il a très bien ciblé sa zone de chalandise pour vendre un produit haut de gamme, avec lequel il se fera une marge des plus intéressantes.
L’abandon de sa ligne au profit de bijoux traduit bien cette volonté de commercer avec ce qui semble être à la mode.
Ce faisant, difficile de voir une quelconque volonté de s’investir sur le territoire. Hormis pour ses besoins immédiats, il ne travaille d’ailleurs pas du tout avec les acteurs locaux.
En extrapolant, Angers a surtout représenté une aubaine et un tremplin pour des entrepreneurs dont l’objectif – de plus en plus assumé – est de devenir les nouvelles têtes du show-business en France, en remplaçant les stars vieillissantes de télévision.
En même temps, comment pourrait-on leur reprocher ? Si entre Amixem et Angers, l’histoire a tourné à l’idylle, c’est que le libéralisme les unit. C’est d’ailleurs à cause du libéralisme que le mariage se termine. Angers fut un territoire parfait pour lancer sa carrière, profitant de conditions fiscales et humaines bien meilleures que s’il était parti vivre à Paris mais reste une ville bien trop petite pour ses ambitions.
A l’instar de ce nouvel Hollywood qui, en voulant combattre, de l’intérieur, le monopole des studios, est devenu la bête dont il avait juré de couper la tête, Amixem a remplacé l’industrie, comme Squeezie.
Le malheur, dans le show-business, c’est que tout va très vite. Personne n’est assuré de se maintenir après une percée lumineuse, l’exemple de VodK l’atteste.
Ce qui est surtout probable, à l’instar de ce nouvel Hollywood vieillissant, c’est que les étoiles montantes deviendront les chiens de garde de demain.
