L’indépendance médiatique, c’est comme le Père Noël : Ça n’existe pas !

Nous allons d’emblée briser une légende urbaine : un média totalement indépendant, ça n’existe pas. Nous sommes dans une société développée et connectée où les interdépendances s’avèrent nombreuses.

Prenons notre exemple : Infoscope est une association à but non-lucratif dont l’objet est la recherche et la transmission des connaissances actuelles, en particulier dans l’espace numérique.

Pour autant, nous ne sommes pas des « créateurs de contenu » parmi d’autres « influenceurs ». Notre démarche journalistique suit une éthique résumée dans notre charte et a pour finalité l’émancipation de nos lecteurs, de nos spectateurs, de nos auditeurs par l’esprit critique auquel nos travaux invitent.

Mais nous sommes présents sur des plateformes détenues par des multinationales de la même manière que nous utilisons un matériel ou des logiciels de capture de l’image et du son conçus et vendus par des multinationales. Ce n’est pas par naïveté, mais par nécessité de s’adresser au public le plus large, que nous avons fait le choix de développer notre présence sur Facebook et Instagram qui appartiennent à Meta, YouTube qui appartient à Google, Twitch qui appartient à Amazon, et ainsi de suite.

Le prix à payer

Même au niveau local, la question de l’indépendance n’est pas aisément réglée. Nous travaillons, à l’aune d’un partenariat renforcé pour la saison 2023-2024, avec Radio Campus Angers qui est aussi un média associatif à but non-lucratif mais particulièrement dépendant des subventions publiques, qu’elles proviennent des établissements d’enseignement supérieur, des collectivités locales ou du ministère de la Culture. Ces subventions n’empêchent heureusement pas Radio Campus Angers de cultiver une autonomie large dans la définition de sa ligne éditoriale, mais rendent de facto cette association financièrement dépendante des fonds publics pour subsister d’année en année.

Avec Infoscope, nous avons fait le choix de ne pas nous contraindre au système des subventions. Cela offre une liberté éditoriale inestimable. Cela a aussi un prix : nous travaillons depuis maintenant cinq années de manière exclusivement bénévole. Les auteurs et réalisateurs de nos documentaires, les rédacteurs de nos articles, les animateurs de nos émissions, toutes les personnes sur le terrain qui travaillent, interviewent, filment, photographient, s’assurent de la logistique, n’ont pas touché un euro depuis cinq ans et la création, en avril 2019, de notre modeste association. Aucune des milliers d’heures de travail sur cette période n’a été rémunérée.

La Tribune des Sans-Voix

Cela nous coûte. La plupart d’entre nous travaillent comme salariés à plein temps ; notre photographe mène de front son engagement à Infoscope et son activité professionnelle sous statut d’auto-entrepreneure ; moi-même, si je peux me dégager un temps de travail bénévole conséquent, c’est parce que je suis atteint d’un handicap reconnu comme m’éloignant durablement de l’emploi et justifiant mes droits à l’allocation aux adultes handicapés. Quelles que soient nos conditions individuelles, nous vivons généralement sous le seuil de pauvreté monétaire et ne pouvons pas justifier d’un revenu provenant d’une entreprise d’information, condition – entre autres – à l’obtention de cartes de presse.

Parce que nous vivons la réalité des classes exploitées, de celles qui œuvrent à la richesse des nations sans avoir voix au chapitre dans le paysage audiovisuel et numérique francophone, nous avons fait le choix d’être la tribune des sans-voix. Sans voix au chapitre dans les médias capitalistes, sans voix entendue dans les salons parisiens, sans voix pour avoir trop chanté dans les manifestations et les festivals, car les luttes sociales et la culture populaire sont profondément enracinées dans nos parcours de vie et dans ceux des personnes que nous mettons à l’honneur.

L’indépendance seule ne signifie rien

Être indépendant, en soi, ne signifie plus rien tant le terme est galvaudé. Nous le précisons donc : Infoscope est une association, un média, un collectif indépendant des oppresseurs et solidaire des opprimés.

Indépendant des oppresseurs qui exploitent, qui se gavent en milliards de dollars quand des milliards d’êtres humains crèvent de faim, qui dictent aux gouvernements occidentaux la marche à suivre pour la bonne conduite des affaires – business as usual – et qui propagent à longueur de temps les idées libérales ou réactionnaires selon lesquelles le capitalisme serait l’aboutissement de nos civilisations.

Solidaire des opprimés qui triment, qui s’occupent des autres de la naissance à la mort, qui se préoccupent de leurs proches, de leurs semblables et de leur seule planète, qui subissent les pires discriminations liées au genre, au nom, à l’origine géographique réelle ou fantasmée et qui, lorsqu’ils se lèvent et tiennent tête, produisent les plus formidables progrès sociaux dont les suivants profiteront.

L’indépendance des oppresseurs peut avoir ses limites : nous avons vu que nous sommes contraints d’utiliser les outils du marché, mais d’une façon consistant à manier les armes de l’ennemi pour mieux le combattre et le vaincre.

Cependant, la solidarité entre opprimés ne souffre d’aucune limite : ni les frontières, ni les papiers, ni les spécificités personnelles ne seront pour nous des obstacles au développement de l’empathie la plus élémentaire jusqu’aux cheminements théoriques les plus élaborés pour extraire l’humanité des forces conservatrices qui l’enserrent et la conduisent à sa perte.

Notre interdépendance nous honore

Si nous cultivons notre indépendance de la classe des milliardaires, nous cultivons tout autant notre dépendance des intérêts populaires qui forment la boussole dialectique de notre traitement de l’actualité. Nous défrichons l’information politique pour y faire apparaître les intérêts en jeu ; nous valorisons les engagements professionnels et associatifs qui font triompher le quotidien des petites gens ; nous cherchons enfin à apporter notre pierre à l’édifice du développement des forces productives sous lequel l’intérêt particulier, égoïste et jaloux de la bourgeoisie ploiera et se brisera.

L’interdépendance entre notre public et nos journalistes, nous n’en avons pas honte – au contraire, elle nous honore. Nous n’avons donc aucun scrupule pour vous inviter à vous abonner à l’ensemble de nos comptes numériques, à brancher votre (web)radio le deuxième mardi du mois pour la Soupe Angevine, et à devenir donateur à partir de 1 euro via notre campagne de dons sur HelloAsso, toujours à but non-lucratif, toujours pour vous proposer un contenu gratuit d’accès, car ce sont les petits ruisseaux aujourd’hui qui feront les grands fleuves demain.

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