Action Man

S’il y a bien une entreprise qui fait couler beaucoup d’encres ces derniers mois, dans la presse locale angevine, c’est bien Action, chaîne de hard discount non alimentaire. En gros, des babioles pour pauvres.

L’astuce, c’est que cette plateforme n’est pas gérée par Action mais bien par Kuehne + Nagel, groupe néerlandais de transport et de logistique, qui assure l’approvisionnement de l’enseigne allemande. Dans cet article, nous allons confondre sciemment les deux entreprises.

Pour rappel, une immense plateforme logistique de 70.000 m² a ouvert ses portes à l’automne 2020 dans le Maine-et-Loire, devenant à ce moment le joyau de la marque en France.

Le témoignage livré dans le numéro de mars 2024 de La Topette est un récit édifiant des conditions de travail dégradées (c’est un euphémisme), du site, situé à Verrières-en-Anjou, en banlieue de l’agglomération angevine.

Asimov à l’envers

Pour être tout à fait honnête, il manque dans l’enquête l’observation d’une spécificité française que nous aimerions mettre en lumière: le management.

Il ne s’agit pas ici de réhabiliter Kuehne+Nagel, archi promoteur du capitalisme de plateformes [1], à l’instar d’Amazon, Uber et autres qui nous vendent une manière de consommer individualisée et personnalisable au détriment d’un respect du droit du travail, du bon sens écologique et même de tout pragmatisme économique.

Sur ce dernier point, on remarque que l’encadrement de la production et, pire encore, sa direction, relèverait du crétinisme, au point de se demander ce qu’on leur fait apprendre dans leur business school…

En effet, dans une structure où il y a autant d’intérimaires que de contractuels (200 intérimaires pour 400 salariés), que ces premiers sont répartis dans six ou sept boîtes d’intérim différentes, l’organisation du travail tient sur un équilibre précaire. Il est dans l’intérêt pour l’entreprise d’en tenir compte si elle veut se développer.

Mais pour l’entreprise allemande, cela ne ressemble pas à un challenge. Plutôt que de parier sur la pérennité, en fidélisant les salariés à la méthode Action, leur permettant de s’installer dans le temps, d’envisager une carrière longue, la direction a choisi la méthode dure, en mettant toujours plus de pression. Par un rythme effréné de production, bien sûr, poussant les salariés à devenir des guerriers de la logistique mais aussi en favorisant le copinage au sein des fonctions d’encadrement.

Le problème avec cette façon de voir le travail, c’est qu’on ne valorise pas l’efficacité du salarié, ce qui est quand même le nerf de la guerre. Une entreprise n’existe que parce qu’elle est rentable. C’est comme ça, c’est dans le droit, sinon on ne vivrait pas sous le capitalisme.

Ici, il semble que le fait de bien bosser n’aura pas plus d’incidence dans la production ou même pour la reconnaissance du salarié (si ce n’est une prime qui sera de toutes façons plafonnée).

Au contraire ! Plus on est productif, plus les objectifs seront élevés, plus la pression sera accentuée…

De toute façon, le contraire serait étonnant. Celles et ceux inquiets du dépassement de l’homme par la machine se rassurent, selon un chef d’équipe: “on aurait pu prendre des machines pour faire votre travail mais elles sont moins rentables”. Ambiance…

C’est une des raisons qui explique le taux d’absentéisme hallucinant sur la dalle, qui désigne chez les salariés, la zone d’activité logistique des préparateurs commandes. Il y aurait chaque jour au moins 10% des salariés absents !

Seigneur en son entreprise

Ce fonctionnement pèse sur les managers eux-mêmes. La hiérarchisation est poussée à son paroxysme avec, à sa tête, la direction, au pouvoir absolutiste, bien qu’elle ait elle-même des comptes à rendre auprès du Conseil d’Administration de Kuehne+Nagel.

Pour s’en rendre compte, il faut voir les couleurs des gilets de chacun des salariés. Chaque gilet représente une position relative dans l’organigramme. Les intérimaires ont un gilet jaune, les embauchés ont un gilet bleu ciel, les formateurs un gilet bleu cyan, un leader aura des bandes oranges, le chef d’équipe aura un gilet rouge, le responsable d’exploitation un gilet rouge sur fond rouge (!) et la direction un gilet bleu foncé.

Vous avez bien compté: il y a sept strates, éloignant de manière artificielle, les salariés de leur direction. Pour autant, rien n’oblige Action de s’organiser comme tel. A titre de comparaison, l’entreprise Scania à Angers ne compte que trois niveaux différents de hiérarchie. De plus, il n’y a aucune différence vestimentaire entre un intérimaire et un salarié en CDD/CDI, symbolisant la volonté de l’entreprise (qui appartient aussi à un groupe allemand, soit dit-en passant), d’inclure l’ensemble des salariés au processus productif.

De fait, les chefs d’équipes catalysent une pression monumentale, étant des fusibles permanents, leur empêchant eux aussi de penser leur travail sur le long terme tant leur position est entre le marteau et l’enclume.

Pour faire régner l’ordre, la direction a décidé d’embaucher des durs, des cadors du management, des mecs avec une poigne de fer pour gérer tous ses pauvres salariés, dont une part non négligeable sont étrangers.

En ce qui concerne leur approche, on ne peut que se désoler qu’ils ne font qu’appliquer ce qu’ils apprennent en cursus universitaire. Appréciez la qualité dispensée des formations en école de management, où l’on inculque “une pédagogie par l’action” (pp.7-8). Avec ce champ lexical, on a de quoi être rassuré…

Trompe l’œil

Avec une telle direction à Angers, il est légitime de se demander pourquoi les actionnaires laissent faire une telle situation, mauvaise autant pour la productivité que pour l’image de l’enseigne.

C’est oublier que le patronat obéit à sa propre logique, en dépit de la rationalité économique, nous en convenons. Le propriétaire du site n’est pas Kuehne-Nagel mais bel et bien un fond de pension allemand.

Comme tout fond de pension, son intention est bien plus de valoriser un actif que l’activité produite par ce-dit actif.

La seule chose qui fait tenir cette plateforme, cela reste les préparateurs commandes. A ce titre, la grève menée en février 2024 par les salariés contractuels comme intérimaires est la preuve qu’il n’y a que par le rapport de force que la plateforme pourra produire correctement. Il ne s’agit pas de sauver Action, même les salariés savent très bien qu’ils répondent à un besoin qui n’existe qu’à cause de la crise du capitalisme. Dans une société à l’activité économique rationalisée, avec des salaires assez décents pour consommer des produits de qualité – entendu comme écologiquement sobres –  le hard-discount n’existerait même pas.

Il y aurait beaucoup à redire de ce mouvement, initié notamment par la CGT. Ce qui était pensé comme un simple débrayage pour préparer les négociations annuelles obligatoires (NAO), s’est transformé en grève reconductible qui n’a débouché que sur une victoire assez relative par rapport à l’ampleur du mouvement: une augmentation des primes de productivité, qui ne touchent que les salariés les plus productifs et une promesse de contractualisations massives des intérimaires.
En ciblant les véritables mécanismes en jeu, la donne pourrait changer et ainsi faire plier n’importe quel patron, fusse t-il sur un fuseau horaire différent du nôtre.

[1] SAVOLDELLI P., Uberisation et après ?, Détour, 2021, Bordeaux, 272p.

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