Le Capital communiste 8/10 – Grandeur du syndicalisme

Le Capital communiste est une brochure écrite en juin 2023 par Benoit Delrue, journaliste et directeur de publication d’Infoscope.
Un an plus tard, à l’heure où le pays plonge dans la mécanique nationaliste, nous interrogeons les faillites de la gauche de transformation sociale, politique et révolutionnaire. Ce présent ouvrage, publié sur notre site en une série d’articles, y contribue.

Cette deuxième des dix parties du document, que nous publions en exclusivité et en accès libre, en intégralité du lundi 1er au vendredi 5 juillet 2024, comporte le Chapitre 21 : Grandeur du syndicalisme et le Chapitre 22 : Petits calculs électoraux.

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XXI. Grandeur du syndicalisme

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Pour neutraliser le sectarisme, partager la culture communiste et nous adresser massivement à notre milieu en vue de lui permettre de s’organiser collectivement, les communistes sont attachés depuis les prémisses de leurs organisations révolutionnaires à la lutte syndicale.

Le syndicalisme est le moyen par lequel des travailleurs se rassemblent pour agir collectivement, soit pour mettre en échec un projet de la direction, soit pour gagner des droits nouveaux. Deux exemples récents et locaux, auxquels il m’a été donné la possibilité de témoigner, viennent donner corps à ce principe.

En juin 2023, le syndicat CGT du Centre Hospitalier Universitaire d’Angers a organisé un bureau d’embauche devant son propre établissement, non loin de l’entrée du service des Urgences. Les militants de cette organisation, qui compte environ 140 adhérents sur 6.000 agents travaillant à l’Hôpital, ont initié cette action après que la direction du CHU leur ait gentiment notifié qu’eux et leurs collègues devraient faire, cet été, une croix sur leurs week-ends et passer à des services de 12 heures, c’est-à-dire douze heures de travail en une journée avec le droit de prendre une pause de 20 minutes au bout de six heures. La raison invoquée par la direction et relayée par les cadres de santé était qu’ils ne trouvaient aucun candidat pour travailler au sein du Centre Hospitalier. En six heures, et alors que leur bureau d’embauche était situé dans une rue particulièrement peu fréquentée et éloignée du centre-ville angevin, les syndicalistes ont recueilli pas moins de 78 CV et lettres de motivation de personnes qui, pour la plupart, leur confiaient qu’elles avaient déjà candidaté spontanément auprès du CHU et que les ressources humaines soit avaient refusé au prétexte qu’il n’y avait pas de recrutement en cours, ce qui est un mensonge, soit n’avaient apporté aucune réponse à leur demande d’emploi. Cette fois, les 78 candidatures ont été posées sur le bureau de la direction et les militants garantissent à chaque personne rencontrée un suivi individualisé de la situation pour que les recrutements aient lieu et que la charge de travail sur chaque agent hospitalier soit un tant soit peu allégée.

Fin février 2023, une grève massive chez les opérateurs – ouvriers qualifiés – de l’usine de cartes électroniques Éolane, toujours à Angers, s’est mise en place pour exiger de la part de leur direction des augmentations de salaire. Certains d’entre eux, dont la déléguée du personnel et syndiquée à la CGT, avaient vu leurs salaires tellement stagner que, le 1er janvier 2023 et pour la première fois de leur carrière, ils s’étaient retrouvés au SMIC. Après quatre jours de grève reconductible, durant laquelle celles et ceux qui avaient cessé le travail n’empêchaient pas l’entrée des autres salariés, mais bloquaient les sorties de camions de l’usine, la direction d’Éolane était prise en tenaille : ses clients, dont le fabricant d’équipements automobiles Valeo, qui comptait sur les fameuses cartes électroniques pour les intégrer dans ses régulateurs de vitesse, allaient bientôt se retrouver à interrompre des chaînes de production et à mettre au chômage technique une partie de leurs ouvriers. Après quatre jours de grève, donc, la direction a accepté non seulement une augmentation de 100 euros de tous les petits salaires, y compris dans les usines localisées dans d’autres sites du groupe en France, et aussi le paiement intégral de deux des quatre journées de grève. Sur les cent cinquante salariés environ que compte Éolane Angers, seuls trois étaient syndiqués, tous trois à la CGT.

Ces deux actions à l’échelle d’une administration hospitalière et d’une usine privée, pas spécialement réputées pour être des bastions du mouvement ouvrier, démontrent toute l’utilité de l’organisation des travailleurs eux-mêmes. La première est l’initiative d’un syndicat établi depuis plusieurs années et aux effectifs conséquents pour mettre sa direction face à ses contradictions ; la deuxième s’est constituée, planifiée au jour le jour par des ouvriers pour la plupart non-syndiqués, mais en colère face à la stagnation de leurs salaires quand le coût de la vie explosait – l’inflation moyenne annuelle se situe autour de 6%, mais l’inflation des produits de première nécessité dépasse souvent les 15%.

Aucune de ces deux actions n’a été organisée spécifiquement par des communistes ; dans les deux cas, il semble même qu’aucun adhérent du PCF ne soit recensé parmi les militantes et militants. Pourtant elles servent, chacune à leur manière, la cause révolutionnaire pour laquelle nous nous engageons et combattons chaque jour. Ces démonstrations de force collective font clairement progresser les trois facteurs de l’engagement révolutionnaire que nous avons établis plus tôt, à savoir la conscience de classe, l’organisation collective et la certitude que nous pouvons gagner.

Ce ne sont pas des grandes conquêtes sociales qui ont été arrachées, mais des victoires décisives dans la reconnaissance du travail des agents et ouvriers sur le terrain, qui ont changé le regard extérieur sur l’entreprise et celui des collègues sur les syndicalistes mobilisés tout au long de l’année. Quand une organisation syndicale de salariés marque des points, elle les marque pour l’ensemble du mouvement social et pour l’ensemble de la classe ouvrière. Il en est de même pour le syndicalisme étudiant, dont les militants accompagnent au quotidien des membres de leur milieu dans leurs démarches administratives, leurs recherches de logement, leurs rapports avec les enseignants-chercheurs, quand ils n’organisent pas la grève de leur campus en solidarité avec les travailleurs en activité ou ne font pas rempart à l’extrême-droite et aux forces réactionnaires sur le terrain.

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XXII. Petits calculs électoraux

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Trop souvent, les forces vives du mouvement communiste sont dirigées selon l’agenda fixé par nos ennemis de classe et vers des objectifs articulés autour d’échéances dont la classe ouvrière ne maîtrise que trop peu l’issue. Il en est ainsi des scrutins électoraux, dont les résultats sont épluchés par les forces politiques néolibérales et nationalistes pour mesurer leurs forces, à grands renforts de pseudo-analyses journalistiques dictées par l’intérêt bourgeois.

Les élections sont, assurément, une photographie des rapports de forces entre mouvements ou partis politiques. Néanmoins, cette photographie est profondément déformée, comme un faux cliché produit par une intelligence artificielle rudimentaire qui ne saurait pas dessiner correctement les contours d’une main ou les angles et les courbes d’une silhouette naturelle.

Cette déformation amène des éditorialistes, attablés sur le plateau de télévision comme au comptoir du bistrot du coin, la bonne humeur populaire en moins, à déclarer que le premier parti ouvrier de France est désormais le Rassemblement National, sous le seul prétexte que Marine Le Pen fait de meilleurs scores qu’Emmanuel Macron dans les territoires périurbains et ruraux où se concentrent les masses laborieuses. Certes, Emmanuel Macron et l’idéologie néolibérale sont profondément minoritaires parmi la classe ouvrière et ses nombreuses déclinaisons ; l’idéologie nationaliste n’y est – fort heureusement – pas majoritaire pour autant. L’observateur avisé et honnête ne pourra que constater que l’abstention est, lors des scrutins électoraux et de loin, la première forme d’expression politique des exploités et des opprimés. La classe ouvrière se sent, lorsqu’elle est encore consciente d’elle-même en tant que classe pour soi, généralement abandonnée par les formations politiques qui recherchent davantage à promouvoir la carrière de personnalités opportunistes plutôt qu’à défendre sincèrement les travailleuses et les travailleurs en leur permettant de s’organiser par elles-mêmes, par eux-mêmes.

La tentation électoraliste des communistes français est compréhensible : parce que les campagnes électorales semblent être la séquence de politisation la plus avancée à l’échelle d’une année, d’un mandat ou d’une vie d’un citoyen, le moment particulier où peuvent s’exprimer les désaccords et les caractéristiques qui nous distinguent des autres forces politiques, il apparaît nécessaire de s’y investir pleinement. Dans les assemblées bourgeoises, les élus communistes n’ont pas pour consigne générale de pratiquer la politique de la chaise vide et ils n’hésitent pas à y siéger pour obtenir soit des informations, quand le rapport de force est défavorable, pour considérer les prochaines batailles à mener, soit des avancées concrètes pour la population quand le rapport de force est plus favorable.

Les victoires institutionnelles, au sein même de l’État bourgeois, de son Parlement et de ses collectivités territoriales, ne sont certainement pas à sous-estimer ni à déprécier. Les principes de libre accès à un service public par la proximité géographique des antennes de ce dernier et par la gratuité, qu’il s’agisse de l’éducation, des soins, de la mobilité ou de la culture, s’avèrent pratiquement insensibles aux yeux de la classe capitaliste qui y aura consenti par l’impôt ou la cotisation patronale, mais transforme la vie quotidienne de la classe ouvrière. Que la France dispose de structures médicales de qualité où l’on ne demande pas la carte bancaire, mais la carte vitale pour être pris en charge, est à l’échelle du monde capitaliste un joyau à défendre absolument, compte tenu des dégâts épouvantables que la marchandisation de la santé provoque aux États-Unis, pays le plus riche du monde où les soins nécessaires pour une maladie commune, telle qu’un cancer, sont facturés à des patients parfois contraints de s’endetter ou de se défaire de l’ensemble de leur maigre propriété pour honorer l’addition. Nous pouvons déjà, dans notre pays, constater l’inhumaine prise en charge de nos aînés, dans des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui exigent des résidents un loyer dont le montant exorbitant conduit une grande partie de nos anciens à liquider, peu à peu, le patrimoine constitué par une vie de travail et qui ne sera, même pas, transmis à leurs enfants.

De même, les municipalités communistes se trouvent au cœur des enjeux de développement du Parti Communiste Français depuis sa naissance en décembre 1920. Dès les premières élections municipales auxquelles il se présente sous le nom de Section française de l’Internationale Communiste (SFIC, premier titre du PCF), en 1925, le mouvement communiste français se démarque en inscrivant sur les listes de candidats essentiellement des ouvriers ayant l’expérience de la lutte sociale, parfois même des femmes alors que leur citoyenneté est refusée par la IIIème République. Joséphine Pencalet est connue pour être la première femme élue de l’ère contemporaine française : née en 1886 à Douarnenez, elle participe aux grèves des sardinières en 1924 et se fait élire conseillère municipale dans sa ville natale au mois de mai de l’année suivante, sur la liste présentée par le PCF. Il faudra l’intervention du Conseil d’État en novembre 1925 pour invalider son élection, au titre du respect de la loi qui veut que les femmes ne sont en droit ni électrices ni éligibles.

Si la fameuse banlieue rouge ceinturant de nombreuses grandes villes, dont Paris, n’est plus aujourd’hui que l’ombre de ce qu’elle fut il y a encore un demi-siècle, les municipalités communistes demeurent, aux yeux de nombreux camarades, des îlots de socialisme. Nombre d’entre elles prennent en charge, par la collectivité, la fourniture de tout le matériel scolaire des enfants, qui ne doit donc pas être acheté par leurs parents ou leurs tuteurs dans des grandes surfaces mais qui les attend, sur leurs bureaux d’écoliers, au premier jour de la rentrée. Presque toutes pratiquent une tarification sociale de la cantine scolaire, tendant à la gratuité pour la plupart des familles dites « modestes » ; certaines villes communistes ont mis en place une gratuité d’accès effective aux transports en commun, comme Aubagne dans les Bouches-du-Rhône depuis 2009, ou ont remis dans le giron du pouvoir politique et citoyen certains services de la municipalité auparavant déléguées à des entreprises privées, en créant des régies publiques de l’eau ou même une régie municipale fournissant la connexion à Internet, comme à Montataire dans l’Oise entre les années 1990 et la fin de l’année 2022, date à laquelle les coûts de fonctionnement et d’investissement n’étaient plus soutenables pour la commune. Les collectivités territoriales et particulièrement les municipalités font face à une paupérisation due à la chute drastique des dotations de l’État et à la réforme de la taxe professionnelle mise en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

« Ne parlez pas d’acquis sociaux mais de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarme jamais », avertissait Ambroise Croizat après avoir institué la Sécurité sociale comme pilier de la solidarité nationale et comme socialisation des risques des travailleurs financée directement sur la valeur ajoutée. Cette mise en garde est particulièrement juste à l’égard des avancées sociales ou sociétales institutionnelles, le mouvement communiste français n’ayant pas encore inversé l’évolution négative d’un long déclin de ses forces militantes et de ses positions électorales.

Plus le PCF recule dans les scrutins intermédiaires et nationaux, plus il est tenté de faire de l’enrayement de ce déclin et de la reprise de pouvoir sur certaines places fortes ses objectifs politiques principaux, au niveau des sections locales comme au niveau de ses structures départementales et nationales. Pour ce faire, il a tendance à faire des seuls scrutins électoraux les échéances principales de son activité, celles à partir desquelles il jugera ses forces et son influence, et à faire du respect de la loi et du droit, ce que nous pouvons nommer le légalisme, un principe auquel ne pas déroger. Or, plus le PCF recule, plus les forces politiques représentant l’intérêt de la bourgeoisie avancent, plus la loi est injuste pour les masses exploitées, et plus celles-ci se détournent de la considération du vote comme un quelconque moyen de changer leurs vies.

Ce serpent qui se mord la queue aboutit à ce que les marges de manœuvres des élus communistes sont de plus en plus faibles, tant au niveau du Parlement français, vue par le pouvoir exécutif – le gouvernement – comme une simple chambre d’enregistrement des projets de loi des ministres ou des propositions de loi des députés et sénateurs idéologiquement proches de la majorité, qu’au niveau des collectivités locales. Celles-ci, par exemple, ont récemment fait face à l’explosion des factures d’électricité, le bouclier tarifaire mis en place par Emmanuel Macron sur l’énergie ne s’appliquant pas pour elles, les obligeant à faire des coupes sombres dans leurs budgets, à fermer des piscines municipales ou à renoncer à investir dans des infrastructures d’utilité publique.

Aux yeux des travailleuses et des travailleurs qui voient de moins en moins l’intérêt de voter lors de scrutins où les démonstrations de force permises par l’argent, sous fond d’américanisation de la politique française, semblent donner des résultats joués d’avance, ni l’intérêt de respecter scrupuleusement et de défendre une loi qui leur est globalement défavorable, le légalisme et les objectifs électoraux du PCF semblent, à raison, déconnectés de leurs difficultés quotidiennes. Sans verser dans le mouvementisme, option visant à ne compter que sur les mouvements sociaux, ni dans le tous pourris, discours habituel de l’extrême-droite prétendument anti-système, il importe pour les communistes et leur parti de dépasser la routine militante et les vieux récits sur nos accomplissement d’autrefois pour créer une dynamique nouvelle, en valorisant ce qui est obtenu par le jeu institutionnel sans se laisser enfermer par celui-ci. Les campagnes électorales ne sont pas le moment le plus abouti de politisation, de prise de conscience des enjeux politiques et des intérêts communs à la classe ouvrière : le moment le plus abouti de conscientisation provient de l’action militante, qu’elle concerne une élection, une grève ou une campagne partisane hors scrutin, lorsqu’elle est accaparée par un membre des masses exploitées qui la fait sienne, qui la pratique et la théorise pour lui permettre de progresser personnellement et de faire progresser les forces révolutionnaires.

Photo de couverture : Jeanne Bonnet, tous droits réservés.

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