DAZN : La LFP a signé l’arrêt de mort du foot professionnel français

Déjà, avec un nom comme « Ligue 1 McDonald’s » pour la première division du championnat de football, en vertu du nouveau « naming » conclu il y a quelques mois, c’était mal barré. Mais avec sa politique suicidaire pour la diffusion des matches de l’élite masculine, la Ligue de Football Professionnel (LFP) a tout simplement signé l’arrêt de mort d’un modèle auquel elle s’accroche pourtant envers et contre tout – surtout contre les supporters.

Six milliards de déficit depuis 2016

Après un long psychodrame, la LFP a signé en juillet, à quasiment un mois du coup d’envoi de la saison 2024-2025 de la Ligue 1, un accord de diffusion avec DAZN (prononcer « Da Zone »), groupe britannique spécialisé dans la distribution de programmes sportifs.

Créé en 2015 puis lancé à l’été 2016, DAZN accuse un déficit de six milliards d’euros depuis sa création [1]. Comme nous l’expliquions dans nos colonnes début juin, tout semble indiquer la reproduction de l’épisode Mediapro, faillite express de la diffusion de la Ligue 1 en 2020 qui aura traumatisé le monde du foot professionnel en France [2].

En échange de 400 millions d’euros par an pour DAZN et 100 millions d’euros pour BeIN Sports, bouquet de chaînes qatari, ces diffuseurs ont obtenu respectivement les droits de huit matches sur neuf de la Ligue 1 et ceux du match restant, pour chacune des trente-quatre journées de championnat qui égrèneront la saison à venir, et les quatre suivantes… jusqu’en 2029.

Des tarifs délirants

Pour 500 millions d’euros annuels, donc, soit la moitié de l’objectif d’un milliard qui a obnubilé des années durant les instances dirigeantes du foot français [3], la LFP espère faire fonctionner un « business model » condamné d’avance.

Jugez plutôt : il est proposé aux aficionados du football masculin deux formules d’abonnement par DAZN à partir de la nouvelle saison qui démarre ce vendredi 16 août [4].

Soit l’offre « Unlimited » à 29,99 euros pour huit matches sur neuf par journée de championnat, à condition de s’engager pendant douze mois – la saison s’arrête en mai, au passage – et la même proposition passe à 39,99 euros sans engagement.

Soit l’offre « Super Sport » à 14,99 euros pour un match par journée, qu’on ne choisit pas : ce sera celui du dimanche à 17 heures. C’est à la même condition de s’engager pour 12 mois, sinon ce sera 19,99 euros.

Une offre 100% low-cost

Ce n’est pas une blague, mais si c’en était une, vous n’auriez pas fini de rire. En effet, malgré ce tarif, il ne faut pas s’attendre à une offre de qualité. Seules les trois affiches du soir (vendredi à 20h45, samedi à 21h, dimanche à 20h45) seront commentées par un binôme journaliste et consultant – souvent un ancien footballeur professionnel – qui est pourtant la formule consacrée pour faire vivre un match de Ligue 1.

Pour tous les autres matches, nous n’aurons qu’un seul commentateur, un journaliste unique qui n’aura personne à qui donner le change [5]. Cela concerne d’ailleurs… le match du dimanche à 17h, celui pour lequel on nous propose de payer 15 ou 20 balles par mois.

Ce n’est pas tout : il n’y aura pas d’émission dédiée à la Ligue 1, de type « talk show », diffusée sur les canaux de DAZN. Pas d’émission hebdomadaire, pas de résumé du week-end, pas d’analyse des dynamiques du championnat, pas de focus sur telle équipe ou tel joueur, discutés en plateau par une joyeuse équipe.

Ah oui, dernière sucrerie : le diffuseur britannique n’émet pas en 4K. A ce tarif-là, c’est qualité HD maximum [6]. La proposition de DAZN est d’une austérité sans nom. Même Mediapro n’avait pas osé.

La LFP se félicite

La chute de cette mauvaise plaisanterie, c’est que la LFP table sur un minimum de deux millions d’abonnés au cours de la saison pour que l’équilibre financier soit garanti. Mediapro n’avait jamais dépassé les 400.000 abonnés et proposait tous les matchs de Ligue 1 sans exclusive pour un tarif moindre. Si l’offre de DAZN convainc 500.000 supporters, ce serait déjà phénoménal. Mais on ne serait encore qu’au quart de l’objectif publiquement assumé.

La Ligue de Football Professionnel peut toujours se féliciter d’avoir, pour la première fois, obtenu le blocage a priori, c’est-à-dire avant même le démarrage de la saison, des sites de streaming illégal et des boîtiers IPTV [7]. Les fournisseurs d’accès à internet en France devront empêcher la transmission des données vers ces solutions alternatives en raison d’une injonction du Tribunal judiciaire de Paris.

Ce sera certainement la dernière victoire de la LFP en ce qui concerne la diffusion de la première division du championnat masculin de football français. Une victoire contre l’engouement populaire pour la Ligue 1, voilà qui en dit long. Il n’y a strictement aucune probabilité, aucun scénario et aucune dimension dans le multivers où l’offre de DAZN pourrait être un succès.

Doublement dangereux

Une toute autre politique aurait pu être tentée : renouer avec la ferveur pour le foot, avec des tarifs réellement attractifs, à 15 euros par mois maximum pour l’intégralité des matches, voire à 7 euros par mois pour visionner tous les matches de son équipe préférée. La LFP est à des années-lumière de la réalité du terrain qui doit pourtant impérativement être considérée pour se donner la moindre chance de parvenir à l’objectif de deux millions d’abonnés.

L’échec annoncé de la diffusion TV est dangereux à deux titres : il hypothèque les finances de la majorité des clubs de l’élite, qui ne participent pas à une coupe d’Europe et qui n’ont pas de gros revenus de « merchandising », dont pratiquement trois quarts des recettes proviennent des droits de diffusion. D’autre part, ce sera (nous employons le futur, et non le conditionnel, à escient) le deuxième fiasco de la Ligue 1 en quatre ans et deux appels d’offres.

La peste et le choléra

Vincent Labrune remet en jeu son poste de président de la LFP à l’occasion de l’élection dans l’instance composée des dirigeants des clubs professionnels, prévue le 10 septembre prochain. Il sera alors totalement empêtré dans l’effondrement du nombre d’abonnés aux services de Ligue 1, en comparaison avec les résultats honorables sur Amazon Prime Vidéo les dernières saisons – supérieurs à un million d’abonnés sur l’année.

En embuscade, un autre candidat songe à se présenter face à M. Labrune. Il s’agit de Cyril Linette, ancien dirigeant du journal L’Équipe et de PMU – les paris hippiques – et ancien directeur des sports de Canal+ [8]. Un bon profil de lobbyiste tout autant décalé de la réalité populaire que ne l’est déjà l’actuel président. On n’est pas sorti des ronces.

Références

1 : https://rmcsport.bfmtv.com/football/ligue-1/netflix-du-sport-strategie-offensive-prix-de-l-abonnement-ce-qu-il-faut-savoir-sur-dazn-nouveau-diffuseur-de-la-ligue-1_AV-202407150365.html
2 : https://infoscope.live/2024/06/09/droits-tv-la-bulle-speculative-du-foot-francais-est-en-train-declater-a-nouveau/
3 : https://www.jean-jaures.org/publication/retour-sur-le-fiasco-des-droits-tv-du-football-francais/
4 : https://www.sofoot.com/breves/les-tarifs-des-abonnements-dazn-pour-voir-la-ligue-1-devoiles
5 : https://www.leparisien.fr/sports/football/ligue-1/ligue-1-smail-bouabdellah-julien-brun-rudi-garcia-dazn-a-forme-son-equipe-12-08-2024-MKYUZWWMYFBPLC37STGBCIMJC4.php
6 : https://www.capital.fr/conso/dazn-prix-ligue-1-abonnement-tout-savoir-netflix-sport-1482685
7 : https://www.sofoot.com/breves/la-lfp-obtient-une-nouvelle-vague-de-blocages-diptv-et-de-sites-de-streaming-illegaux
8 : https://rmcsport.bfmtv.com/football/ligue-1/info-rmc-sport-cyril-linette-reflechit-serieusement-a-se-presenter-a-la-presidence-de-la-lfp_AV-202408120448.html

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