L’hubris du pouvoir

Avant toute chose, l’auteur de cet article, ainsi que toute la rédaction d’Infoscope, vous souhaite de meilleurs vœux en 2025. 

C’est le mieux qu’on puisse souhaiter, vu que l’année commence sur les chapeaux de roues. 

Hélas ! 2025 commence comme s’est fini 2024, là où 2024 avait commencé comme fini 2024. 

Rien qu’à voir l’allocution de M. Emmanuel Macron — comme l’exige la tradition — le soir du dernier jour de l’an dernier, on voit bien mal comment ça peut changer…

Même si c’est du tout cuit, les chaînes d’info en continu ont eu le droit à leur petite phrase. Elles ont tout naturellement commenté cette formule aussi évasive que creuse. Jupiter, dans sa mansuétude, appelle son peuple à « trancher » [1]? 

Il a beau avoir admis sa faute, celle d’avoir dissous l’Assemblée Nationale, il ne s’y résout toujours pas. Le peuple d’Emmanuel Macron est on ne peut plus clair: il ne veut plus de lui. 

Inutile de dire que cela ressemble à un N-ieme écran de fumée qui cache bien mal l’isolement du président, où même les murs du palais de l’Elysée ont des oreilles [2]. 

Tout d’un coup, la petite histoire rencontre la grande. Pour un homme qui a la prétention de faire partie de la seconde, c’est donc le moment d’être face à ses responsabilités. 

Celui qui doit trancher, c’est Emmanuel Macron. Sa personne a mis en lumière ce que tout le monde savait depuis toujours. En imposant un régime présidentiel, la constitution de la Ve République a créé un problème démocratique. 

Ça a toujours été latent, comme un malaise. Maintenant, c’est clair. Si M. Macron entretient un rapport toxique à son rôle de chef d’Etat, c’est bien parce que ce-dit rôle est toxique. 

2-7

 

Pour comprendre la situation dans laquelle se trouve le président de la république française, il est nécessaire de prendre de la hauteur. 

La crise institutionnelle n’est pas née en 2024. La Ve République n’est pas devenue un régime instable au soir du 7 juillet. Il est des forces contre lesquelles on ne peut rien, tout Macron qu’on soit. 

L’une d’entre elles est la crise du capitalisme libéral, à laquelle la France est une actrice majeure. Comme le temps du président compté, on ne pourra jamais lui enlever son action politique lors de la pandémie de coronavirus, en 2020.

Il n’a pas l’air d’avoir compris la leçon: on ne soigne pas le mal par le mal. Le marché libre se fracasse sur les avatars du changement climatique. 

Sans compter les équilibres internationaux ! La rivalité avec la Chine, la guerre face à la Russie, le soutien à l’entreprise criminelle israélienne, tout ça prouve qu’on ne veut plus ni de l’Occident ni de son modèle.

Mais celui-ci répond à des lois qui se passent du droit des peuples, surtout quand ce dernier va à l’encontre de sa logique profonde: la croissance. Ironiquement, les débouchés sont… bouchés.

Que reste-t-il, à cette poignée de familles, pour amasser toujours plus de richesses, à part, « une bonne vieille guerre » ? 

Il est, à ce titre, nécessaire de noter que s’il y a bien une chose dont nos médias préférés n’ont pas parlé, c’est la volonté affichée du président français à renforcer toujours plus les logiques guerrières. Le message est on ne peut plus clair: si l’Europe est seule face à l’ennemi russe, la France ne mourra pas sans prendre les armes. 

D’un point de vue électoral, le ralliement toujours plus massif des élites économiques françaises au Rassemblement National, au détriment du camp macroniste, exprime cette tendance de fond. 

 

Le gouvernement des morts-vivants 

 

L’ampleur du sketch fera date, si M. Macron admet que la dissolution de l’Assemblée Nationale n’a pas produit les effets escomptés, il ne désavoue jamais son choix de maintenir son cap politique. La nomination de son allié de toujours, M. François Bayrou, premier ministre, en est la preuve la plus éclatante. 

Des fois, les actes valent plus que les mots. S’il nous appelle à trancher, comme il dit, ce qu’on observe, nous, c’est du déni de démocratie. 

Une fois la sidération passée, pourquoi s’en émouvoir ? Il voudra exercer le pouvoir jusqu’au bout. Il en va de sa place dans la grande histoire. 

Par sa manière de gouverner, Jupiter a tué la Ve République. Il n’est globalement plus possible que ce régime politique produise du consentement auprès de la population.

Attention cependant ! N’oubliez pas la croissance ! N’oubliez pas que les libéraux sont des prédateurs ! Dans cette optique, la solution qu’il lui reste, c’est la guerre. 

 

Printemps nucléaire

 

Cela semble assez absurde à dire mais la classe capitaliste est moins unie que le mouvement social même si, il apparaît clair que ce dernier n’a pas les moyens de prendre le pouvoir. 

Le résultat de l’élection législative a momentanément neutralisé l’action politique du Rassemblement National. Sans compter les affaires judiciaires de sa présidente, Mme Marine Le Pen. 

En politique, tout est question d’équilibre. Et celui des fascistes est bancal. Il y a une mesure qui révèle ce problème: l’abrogation de la réforme des retraites. 

Le patronat serait prêt à soutenir le Rassemblement National si celui-ci abandonne la dernière position qu’il la lie à son électorat populaire. Le meilleur conseil qu’on puisse donner aux apparatchik du parti d’extrême-droite, c’est de lire Que faire ? de Lénine. Rien que le titre reflète le dilemme de la droite identitaire. 

Il n’est pas sûr à 100% qu’Emmanuel Macron ait voulu un jour gouverner avec l’extrême-droite. Quitte à ce qu’il y ait du chaos, ce sera lui qui sera à la barre, jusqu’en 2027. 

Quand on comprend la psychologie toxique d’Emmanuel Macron, il est probable que ce soit son objectif. Le gouvernement Bayrou, c’est simplement un peu plus d’huile sur l’incendie. 

Au jeu auquel le président joue, il possède une carte plus puissante qu’un dieu Égyptien dans Yu-Gi-Oh: l’article 16 de la constitution, qui confère, dans les faits, les pleins pouvoirs au président de la République. 

Bien sûr, il ne peut pas l’actionner à n’importe quel moment et doit justifier d’une situation où l’intégrité de l’État est menacée.

Dans ce voyage au sein de son esprit, mettons une pièce sur le fait que l’instabilité gouvernementale rentre dans cette définition.

 

It was written 

 

Il aurait d’autant plus intérêt à le faire que son agenda est en réalité celui de la grande bourgeoisie et celle-ci est claire: du temps, elle n’en a pas. Pas jusqu’à 2027. 

Peut-être que lui ne le voit pas, cependant, tout le monde sait que c’est lui qui pose problème actuellement. 

Pourtant, sa démission ne règlerait pas le problème de fond: comment gouverner encore sous la Ve République ? 

Elle est là ! La contradiction majeure. Elle est ici ! La crise du capitalisme. 

Ce n’est pas d’hier que la bourgeoisie est fascinée par la figure du Chef. C’est même dans son ADN. Accorder à son champion le plus zélé, en la personne d’Emmanuel Macron, les pleins pouvoirs, pourrait sembler — à leurs yeux — entendable. Après tout, il a toujours maintenu le cap. 

 

Une constitution dévitalisée 

 

Retour dans l’esprit du président de la république. Ses calculs cyniques sont on ne peut plus justes: si lui ne gagne pas, personne ne gagnera. 

Qu’il fasse appel ou non à l’article 16, il a gagné en cela qu’il a ouvert le débat [3].

Décidément, l’esprit de Lénine plane sur cet article, que faire ? 

Nous, militantes et militants du mouvement social, comment définir le moment que nous vivons ? 

D’un côté, le pouvoir ne tient que parce que le mouvement social le veut bien mais le mouvement social ne peut pas prendre le pouvoir. 

Non pas qu’il soit trop faible, au contraire. Il y a pourtant quelque chose que la tripartition de la vie politique occulte, c’est que la haute bourgeoisie, qu’elle préfère Macron, Le Pen, les deux, peu importe, elle est assez d’accord entre elle pour ne pas laisser une miette du pouvoir à la gauche. Sinon, on parlerait aujourd’hui de Lucie Castets comme de la première ministre au mandat le plus court. 

Avec la Constitution, il y a la lettre et l’esprit. La lettre dirait qu’Emmanuel Macron a tout à fait le droit de ne pas laisser le gouvernement à la coalition arrivée en tête, à savoir le Nouveau Front Populaire (NFP). L’esprit soutient le contraire. 

Nier le résultat du rapport de force tel qu’il est photographié par l’Assemblée Nationale, c’est voir la lettre tuer l’esprit de la Constitution. 

L’arme du crime s’avère être le chef de l’Etat, qui a tout sacrifié, afin d’arriver là où il est.

Il n’a même pas 50 ans, il aura une vie après son passage à l’Élysée. Son avenir est auprès de la haute société. Elle n’accepterait pas qu’il soit le président qui a laissé le destin de la France aux mains de ses forces productives.

 

Autophagie

 

C’est une musique dont la composition est ancienne mais dont la version la plus moderne est un hit. Son titre est : quand on voit l’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron, on aurait presque envie de dire que Marine Le Pen ne sera pas pire. 

Et c’est là l’astuce: ce qui apparaît scandaleux aujourd’hui ne le sera plus demain. 

En d’autres termes, si Emmanuel Macron ne fait pas appel à l’article 16, il ouvre la possibilité à Marine Le Pen de le faire, si un contexte similaire advenait. 

Avec l’hypothèse d’une victoire lepeniste dans le cadre d’une élection présidentielle anticipée, elle gouvernerait quand même avec une assemblée divisée. Elle serait obligée de dissoudre l’Assemblée Nationale et rien ne dit que l’issue soit plus favorable. 

Ainsi, qui s’inquiètera si Marine Le Pen emprunte le chemin que son prédécesseur a entamé ? 

Après tout, ce qui se passe en France trouve des échos partout en Europe. Ce n’est pas comme si Elon Musk faisait une campagne active pour voir l’AfD [4] prendre le pouvoir en Allemagne

 

Machiavel version Wish

 

Comme toutes les meilleures choses, il est temps de conclure. Ce qui est sûr, qu’importe le scénario, chaque analyse comporte des zones d’ombres.

C’est donc le moment de prendre des paris. Celui de Benoît Delrue, c’est l’hypothèse du gouvernement technique. Postulat attrayant, il faut le convenir.

Cependant, voir un gouvernement technique en France, pour un pays qui n’en a pas la culture, comme s’il s’agissait des Grecs, semble être légèrement audacieux. 

Quoiqu’on en dise, la France est un pays économiquement sûr. Notamment parce qu’il reste dans ce pays encore un patrimoine immense. 

Surtout, n’oublions pas que la France est un acteur majeur de ce capitalisme libéral en crise. Imposer un gouvernement technique pour mettre en place des réformes brutales, ça marche en Argentine, en Grèce ou que sais-je mais quel serait le signal si la France, l’une des locomotives de l’Occident, se voyait imposer un exécutif par le Fond Monétaire International ? 

Bien que l’horizon soit incertain, il semble, en effet, que le seul chemin salvateur est celui de la solidarité populaire et de la résistance.  

 

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[1] Citation exacte à 9 minutes 53

[2] Article avec accès payant

[3] Idem

[4] Alternative für Deutschland, parti d’extrême-droite allemand. 

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