Réforme du RSA… Des principes à la réalité

Au 1er janvier 2025, se généralise, à tout le territoire français, l’expérience instaurée pour l’encadrement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dans le cadre de la loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023, conduite dans 18 territoires puis 47 depuis deux ans. La mise en place de la réforme s’effectue, alors qu’on n’a tiré aucun enseignement du rapport final d’évaluation publié en novembre 20241. En cause la cacophonie à la tête de l’État. Ceci inquiète les associations, le mouvement syndical et de nombreux acteurs au rang desquels Claire Hédon, défenseure des droits, qui dans une interview au journal l’Humanité, le 9 janvier 2025, estime qu’on ne peut pas priver une personne de « son reste à vivre » pointant une réforme stigmatisante, aux antipodes du devoir de protection sociale2.

Au 1er trimestre 2024, 1,89 millions de foyers sont allocataires du RSA (soit 3,60 millions de personnes en comptabilisant les conjoints, les enfants et autres personnes à charge)3. Le montant du RSA pour une personne seule est de 635,71 € quand le seuil de pauvreté est fixé à 1216 €.

Avec la nouvelle mouture du RSA, tous les bénéficiaires sont inscrits à France Travail qu’ils soient en situation de travail ou non, « tout allocataire du RSA sera considéré par défaut comme demandeur d’emploi, jusqu’à preuve du contraire4». Il s’agit là d’une rupture idéologique : les allocataires du RSA jusque-là regardées comme des personnes dépourvues de revenus, deviennent des personnes dépourvues d’emploi. Peu importe leurs difficultés sociales, leur état de santé physique ou mentale, leurs difficultés à se loger, les freins à l’embauche, etc.5 Peu importe, s’ils sont des travailleurs pauvres ne pouvant subsister du seul fruit de leur travail, comme le montre le magazine Reporterre6 à propos des agriculteurs au RSA qui se sont vu imposer, dans le département pilote du Vaucluse, un accompagnement vers l’emploi ou l’acceptation d’un travail sans rapport avec leur qualification, sous peine de suppression de l’allocation.

Le versement de l’allocation est conditionné à la signature d’un contrat d’engagement comportant un plan d’actions précisant des objectifs d’insertion sociale et professionnelle et 15h d’activités obligatoires par semaine, sans que ces activités ne soient clairement définies. Quelle forme va être donnée à l’obligation d’activité quand, dans la loi, celle-ci est décrite soit comme un accompagnement intensif soit comme un emploi, rémunéré ou bénévole ? Ce qui laisse planer le spectre d’un travail gratuit forcé, comme à Villers-en-Vexin dans l’Eure, où quatre allocataires du RSA ont remis en état et végétalisé le cimetière, contre le versement de leur allocation7. Le revenu de solidarité active devient dans ce cas d’espèce le revenu sous condition d’activités !

Du RMI au RSA

Le RMI (revenu minimum d’insertion) est instauré en19888 par le gouvernement Rocard9, après un vote unanime de l’Assemblée Nationale, dans un contexte d’émergence d’une nouvelle pauvreté, de chômage croissant et de durcissement des conditions de son indemnisation. Il est financé par l’État pour le versement des allocations (confié à la Caisse d’allocations familiales – la CAF) et par les Conseils Généraux. Il s’agit d’une prestation de solidarité nationale qui entend concrétiser un principe inscrit dans la Constitution de 1946, selon lequel « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence »10. La solidarité nationale conjugue l’insertion sociale et professionnelle pour les bénéficiaires, et un devoir d’insertion pour la collectivité, sous forme de démarche contractuelle.

Le RMI est critiqué à partir de la fin des années 90, on lui reproche de maintenir ses allocataires dans l’assistance sans les sortir de la pauvreté.

Peu à peu, les discours évoluent et l’accent est mis sur le retour à l’emploi, la loi no 2008-1249 du 1er décembre 2008 remplace le RMI par le RSA dont la gestion est confiée aux seuls départements. Les exigences vis-à-vis des bénéficiaires se font plus pressantes : ils se doivent d’entrer en dynamique pour retrouver un emploi…, être « responsabilisés » ainsi que l’a déclaré Emmanuel Macron, le 22 mars 2023 au cours d’une interview télévisée.

La loi sur le plein emploi qui vise un taux de chômage à 5% d’ici 2027, transforme Pôle Emploi en une nouvelle entité « France Travail » et durcit le contrôle des bénéficiaires du RSA, jusqu’à s’immiscer dans leur vie privée, en instaurant par exemple des obligations de soin au titre des 15h d’activités pour valider le maintien de l’allocation.

Le RSA 2025 : effets pervers et ordre social !

Effets pervers

L’attribution du RSA va déclencher automatiquement une inscription administrative à France Travail qui devra absorber 1,8 millions11 d’allocataires en plus.

Il y a fort à parier qu’avec la suppression de 500 postes à France Travail, inscrite dans le projet de Loi de finance (PLF) 2025, on sera proche d’une quadrature du cercle entraînant une profonde désorganisation d’une institution qui peine déjà à encadrer les 5,1 millions de demandeurs d’emploi.

Les expérimentations passées montrent qu’une partie des nouveaux inscrits à France Travail qui ne sont pas en mesure de chercher immédiatement un emploi, après une première évaluation, seront redirigés vers les services sociaux ou les missions locales… le plus souvent sur la base d’algorithmes.

Pour Denis Gravouil, secrétaire général de la FNSAC12-CGT, le dispositif 2025 du RSA « transforme France Travail en un rêve technocratique et libéral qui prétend faire des miracles avec un accès entièrement numérisé, au détriment de la proximité et des publics les plus fragiles13».

Or c’est bien là où le bât blesse. Quid du codage de ces algorithmes, quelle sera la fiabilité des indicateurs retenus ? Comment rendront-ils compte de ce qui relève du sensible, du vécu ? Seront-ils aptes à appréhender ces notions ? A ce propos la Fédération des Organismes Sociaux de la CGT, dénonce « le fait que la loi Plein Emploi permette que, par simple décret, des opérateurs privés (ex. agences intérim) se voient orienter directement, via l’algorithme, des privés d’emploi pour les accompagner »14. Elle s’inquiète également de la multiplication par 3 du nombre de contrôles de recherche emploi, passant de 500 000 à 1,5 millions, sous prétexte de « mieux accompagner » les allocataires !

Par ailleurs, la départementalisation du dispositif introduit des risques d’hétérogénéité dans l’appréhension des situations avec un accent plus ou moins fort sur l’accompagnement social ou sur l’insertion professionnelle… Tout sera affaire d’appréciation, ce qui risque de conduire à des inégalités territoriales. Ainsi par exemple lors de l’expérimentation, certains départements ont suspendu ou radié des allocataires quand d’autres à l’instar de la Loire Atlantique se sont refusés à instaurer une conditionnalité des aides.

Les allocataires présentant des difficultés sociales, inscrits à France Travail, resteront dans le dispositif d’accompagnement des travailleurs sociaux des départements. L’avis du Conseil National des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, précédemment cité, montre que la complexité du suivi administratif, la multiplicité des interlocuteurs de diverses institutions pour un même allocataire, est source d’erreurs ayant de graves conséquences : suspension des allocations, indus, remboursements, sortie prématurée du dispositif, perte de confiance vis-à-vis de l’administration, renoncement aux droits et intensification de la précarité.

Ordre social

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». La formule est bien connue, elle est un des principes du système re-distributif de sécurité sociale, mis en place en 1946 en France. Rapidement dit, cela signifie que chacun reçoit des prestations sociales selon ses nécessités et contribue au financement du système selon ses possibilités.

Instaurer des contreparties et des sanctions à la redistribution, des « droits » et « des devoirs », c’est rompre avec la notion d’allocation de solidarité au cœur du système de sécurité sociale, fondée sur un revenu de remplacement (le RSA) qui permet aux personnes sans ressources de se maintenir (pas plus) la tête hors de l’eau. C’est supposer que la sanction aurait une vertu pédagogique et permettrait de mobiliser, « d’activer » les bénéficiaires des minima sociaux vers l’emploi. Ce qui est loin d’être démontré. À l’inverse, les effets de la sortie du dispositif, des sanctions, sont bien connus : ce qu’ils produisent c’est du non-recours, de l’extrême pauvreté. La sanction radie des fichiers, elle ne prouve pas qu’elle favorise l’insertion.

Sans être cynique, la radiation massive aura un impact sur les budgets alloués à la prise en charge du RSA, c’est peut-être ce qui est escompté par certains départements face à la baisse drastique de leurs ressources et au désengagement de l’État de missions, toujours plus nombreuses, qui sont confiées aux collectivités territoriales.

Entretenir le discrédit jeté sur les pauvres, le propos n’est pas nouveau. Qu’on se rappelle les déclarations de Jean-Michel Blanquer en 2021, pour qui l’allocation de rentrée servirait à acheter « des écrans plats », alors qu’une enquête de la CAF de 201415 montre au contraire que cette allocation n’est pas détournée de son objet !

« Le besoin de réduire les pauvres à une série de clichés existe depuis aussi longtemps que la pauvreté elle-même […]. Répéter que l’on ne peut rien leur donner, car cela les rendrait paresseux, et qu’il ne faut rien prendre aux riches parce que cela les démotiverait, en toutes circonstances, même quand il y a des superprofits, cela crée un conflit de classes, qui doit trouver une manière de s’exprimer. »16

Il ne faut pas jouer avec le feu ! Cette réforme et ses présupposés sont le reflet d’un conflit de classes où les pauvres sont la classe dangereuse à surveiller, encadrer … et punir le cas échéant, où la contribution équitable des plus riches au système de protection sociale n’est pas à l’ordre du jour et où l’appropriation des richesses par certains dépossède les travailleurs de leurs droits à ce que soient créées les conditions de l’accès à l’emploi, à la formation, à l’insertion sociale et professionnelle et plus largement au socle commun que sont les services publics. Alors, oui sans doute, dans un tel contexte explosif d’inégalités sociales, le conflit de classes pourrait bien trouver une manière de s’exprimer !

  1. https://www.secours-catholique.org/sites/default/files/03-Documents/Premier%20bilan%20des%20expe%CC%81rimentations%20RSA%20-%20SCCF%20ATD%20AequitaZ%20-%2010%202024.pdf ↩︎
  2. https://www.humanite.fr/social-et-economie/claire-hedon/reforme-du-rsa-on-ne-peut-priver-une-personne-de-son-reste-a-vivre-denonce-la-defenseure-des-droits ↩︎
  3. https://caf.fr/sites/default/files/medias/cnaf/Nous_connaitre/Recherche_et_statistiques/Rsa%20Conjoncture/RSA%20Conjoncture_2024T1_42_Juin2024.pdf ↩︎
  4. Michael Zemmour, https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2025/01/04/jalons-pour-une-analyse-de-la-reforme-du-rsa ↩︎
  5. Avis du Conseil National des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale : sanction, le point de vue du vécu, avis examiné en réunion plénière du 7 mars 2024. ↩︎
  6. https://reporterre.net/On-me-demande-de-faire-des-menages-la-reforme-du-RSA-fragilise-les-paysans ↩︎
  7. Fondation Jean Jaurès : https://www.jean-jaures.org/publication/premier-bilan-des-experimentations-rsa-quatre-alertes-pour-repondre-aux-inquietudes-des-allocataires/ ↩︎
  8. La loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988. ↩︎
  9. Michel Rocard a été Premier Ministre de François Mitterrand du 10 mai au 28 juin 1988 (Rocard I) après la dissolution de l’assemblée par le Président de la République, puis du 28 juin 1988 au 15 mai 1991 (Rocard II), Le Parti socialiste ne disposait pas d’une majorité absolue à la chambre des députés. Les Communistes ayant refusé une alliance gouvernementale, ce gouvernement est un gouvernement d’ouverture au centre voire au centre droit. Ce qui a contraint le premier Ministre à recourir 28 fois à l’article 49.3 (contre 23 fois pour Élisabeth Borne). ↩︎
  10. Anne Eydoux, Carole Tuchizer, Du RMI au RSA : la difficile mise en place d’une gouvernance décentralisée des politiques d’insertion, Revue Française des affaires sociales, 2011/4 pages 90 à 113. ↩︎
  11. Actuellement 40% des bénéficiaires du RSA sont déjà inscrits à France Travail. ↩︎
  12. Fédération nationale des syndicats du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle ↩︎
  13. https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/legislation/rsa-conditionne-le-travail-force-version-macron#:~:text=La%20mise%20en%20place%20de,dans%2018%20d%C3%A9partements%20ou%20collectivit%C3%A9s ↩︎
  14. https://orgasociaux.cgt.fr/actualites/france-travail-inscription-au-contrat-dengagement-prives-demploi-et-precaires-stigmatises/ ↩︎
  15. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/09/04/derriere-les-approximations-de-blanquer-la-question-recurrente-de-l-allocation-de-rentree-scolaire_6093363_4355770.html ↩︎
  16. Abhijit V. Banerjee, Esther Duflo, (prix Nobel d’économie 2019), Repenser la pauvreté, Seuil, 2011. ↩︎