Loi Sécurité Globale : pourquoi elle est inutile et dangereuse

Nous ne reviendrons pas sur les périls démocratiques que cette loi entraîne. Pour autant, en ce jour de manifestations (qui sont parfois interdites, rappelons-le) dans toute la France, il faut – si ce n’est pas déjà fait – comprendre en quoi cette loi est inutile et dangereuse. Inutile parce que dangereuse, dangereuse parce qu’inutile. La plupart de nos remarques sont issues de l’avis 20-06 de Claire Hédon, défenseure des droits mais aussi de la proposition de loi en date du 20 octobre 2020.

Dangereuse parce qu’inutile

C’est peut-être la première constatation que l’on peut faire. Sous prétexte de protéger les forces de l’ordre, le fameux article 24, qui provoque la juste colère des militants, bafoue “la possibilité de filmer les forces de sécurité de l’Etat en exercice et la légitimité de cette captation. Dans le cadre de ses fonctions et en dehors des lieux privés, le policier ou le gendarme ne peut s’opposer à l’enregistrement d’images ou de sons. Comme le rappelle la circulaire du 23 décembre 2008 du ministre de l’intérieur, dans ce cadre, la liberté d’information, qu’elle soit le fait d’un journaliste ou d’un particulier, prime sur le droit à l’image ou au respect de la vie privée dès lors que cette liberté ne porte pas atteinte à la dignité de la personne”. Ainsi, il est de notre droit de filmer un policier et ce droit est même garant de la démocratie libérale dans laquelle nous vivons.

En outre, Mme Hédon rappelle:

Si la protection des policiers et gendarmes est un objectif légitime, ces derniers sont déjà protégés, grâce au code pénal et à la loi du 29 juillet 1881, notamment contre les menaces, injures, diffamations, outrages et contre la provocation à la réalisation d’un crime ou d’un délit. Comme toute personne, les policiers et gendarmes ont également droit au respect de leur vie privée protégée notamment par l’article 226-1 du code pénal.En outre,la loi a prévu une protection de l’identité des policiers et gendarmes dans certaines situations spécifiques: ainsi,les agents appartenant aux services d’intervention, de lutte anti-terroriste et de contre-espionnage,bénéficient de la garantie de l’anonymat. L’arrêté du 7 avril 2011, qui complète l’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881, relatif au respect de l’anonymat de certains fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale, rend possible une action pénale pour la révélation, par quelque moyen d’expression que ce soit, de l’identité de certains fonctionnaires et militaires. Pour ce faire, l’arrêté fixe limitativement les services et unités dont les missions nécessitent le respect de l’anonymat, notamment l’unité de recherche, d’assistance, d’intervention et de dissuasion (RAID) ou le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Plus largement, en application de l’article 15-4 du code de procédure pénale, dans l’exercice de ses fonctions, tout agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale peut être autorisé à ne pas être identifié par ses nom et prénom dans des actes de procédure. L’article 62-1 du même code prévoit que les personnels chargés de missions de police judiciaire peuvent déclarer comme domicile l’adresse du siège du service dont ils dépendent. Des protections contre l’identification de fonctionnaires de police et militaires de gendarmerie existent donc, dans les cas où elles peuvent se justifier. Et des infractions réprimant les atteintes et la volonté de porter atteinte à leur intégrité. Dès lors, cette disposition ne protégerait pas davantage l’intégrité des policiers et gendarmes et ne répond pas à l’exigence de nécessité exigée par le Conseil constitutionnel.

Ainsi, il existe déjà des dispositifs qui veillent à la protection des policiers, qui sont des citoyens comme les autres et ne peuvent en aucun cas bénéficier d’une législation d’exception. Si tel est le cas, nous ne vivons plus dans un État où la citoyenneté est le socle du contrat social mais bien dans un régime politique policier. Cet article accentue certes l’arbitraire et l’impunité des agents de police mais surtout renforce l’idée que l’urgence est devenue banale et que nous vivons dans un état proche de la guerre civile. Sans vouloir jouer l’oiseau de mauvais augure, ce genre de discours n’est pas propre à celui de M. Macron et nous avons tous en tête un ou quelques précédents historiques qui affirment que cette réflexion est tout sauf une bonne idée.

Inutile parce que dangereuse

Mais il y a aussi un autre argument, plus concret et souvent oublié des débats, qui tournent souvent à la posture morale, qui nous pousse à nous insurger face à cette loi. Il est de nature économique. Il y a, selon la proposition de loi et en comptant les policiers municipaux et les milices privées (sic), 436 500 agents sur un territoire comportant environ 65 millions de citoyens, soit un policier pour 148 habitants. La proportion est encore plus faible si on ne prenait en compte que la police et la gendarmerie nationales, qui sont, rappelons le ici, les seuls agents qui sont des fonctionnaires et qui représentent le service public: il y a un agent pour 260 habitants en moyenne. C’est vraiment faible et cela met en lumière une chose, les services publics de police, à l’instar de ceux de santé comme de l’éducation, souffrent gravement de l’austérité. La question que nous posons ici est donc de même nature à chaque fois qu’il y a une nouvelle réforme qui passe: mais avec quels moyens les policiers pourront-ils appliquer la loi ? 

Elle propose deux types de réponse à l’aide d’une seule grille de lecture: la mise-en-concurrence entre services, tout naturellement. Ainsi donc, le texte de loi propose d’augmenter les compétences des polices municipales et de “mieux encadrer” (re-sic) le rôle des milices privées, “essentielles, notamment pour l’organisation d’événements sportifs comme les JO 2024 ou la coupe du monde de rugby 2023”. Bref, il faut travailler plus mais avec toujours moins de moyens. De plus, la question des milices privées interroge forcément et rappelle encore une fois les fameuses heures les plus sombres de notre Histoire, et à raison. Il y a déjà plus de miliciens (165 000 que la proposition de loi appelle d’ailleurs “agents privés de sécurité”) que de policiers municipaux (21 500) mais surtout, l’appel à leur service risque d’augmenter, en concertation avec l’État. Ça, c’est réellement alarmant.

Le second type de réponse, c’est bien évidemment de mettre en concurrence la machine avec le travailleur, ce que les économistes appellent la substitution du capital au travail. Vous connaissez déjà le principe: on remplace l’hôte de caisse par une caisse automatique parce que ça coûte moins cher. Il est exactement le même avec l’utilisation policière des drones. Alors que les commissariats de quartiers populaires souffrent gravement des affres des restrictions budgétaires (il n’y a qu’à aller dans leurs locaux pour comprendre ce qu’on veut dire par là), ils devront faire des choix draconiens: faut-il recruter un nouveau policier, mieux le former, lui donner sa chance, lui apprendre son rôle de gardien de la paix ou mieux vaut-il utiliser un drône qui lui n’a aucune idée de ce qu’est une circonstance atténuante ? Cela va bien entendu entraîner le même phénomène qu’on observe partout: une police à deux vitesses, entre commissariats bien dotés et ceux qui sont obligés de cravacher pour remplir le quota en fin de journée.

Si l’idée était d’accentuer la pression sur les agents du service public et de contenter le patronat en renforçant l’exploitation, cette loi est un pari réussi. Par contre, si l’objectif était de rapprocher le policier du citoyen, voire de donner un rôle citoyen à celui de policier, c’est raté. Mais pire encore, c’est l’aveu que le libéralisme est en crise, et quand celui-ci l’est, il devient plus dur et se transforme en régime fasciste. Si M. Macron, son gouvernement et son groupe parlementaire voulaient faire gagner l’extrême-droite aux prochaines élections, il le fait très bien.

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