Un chancelier écolo en Allemagne à l’automne 2021 ? Espoirs et illusions d’une révolution verte
Prévues le 26 septembre 2021, soit dans quatre mois, les élections fédérales allemandes peuvent profondément rebattre les cartes du paysage politique outre-Rhin et partant, de l’Union européenne.
Une situation inédite dans le paysage politique allemand
Pour la première fois depuis son entrée en fonction le 22 novembre 2005, Angela Merkel n’est pas candidate à sa réélection au poste de Chancelier fédéral, qui se trouve à la tête du gouvernement dans un système où le président de la République fait surtout œuvre de représentation de la nation et non de chef de l’exécutif.
Son parti, la CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne), au centre du jeu politique et du gouvernement allemands depuis quinze ans et demi, a fait la course en tête des intentions de vote, creusant même l’écart avec ses poursuivants à partir du début de la crise sanitaire.
Mais ça, c’était avant. Depuis environ un mois, la tendance longue qui court depuis février 2021 a eu pour conséquence un phénomène totalement inédit dans l’histoire politique germanique : les Verts (Die Grünen) passent devant l’Union chrétienne-démocrate dans les sondages, une dynamique nette qui ouvre la voie à leur potentielle victoire en septembre prochain.
Un mini-séisme sans véritable transformation sociale
Si les Verts peuvent effectivement devenir la principale force au Bundestag, ils n’auront pas pour autant la majorité absolue des 598 sièges que compte l’Assemblée fédérale, fixée à trois cents.
Le parti écologiste allemand devra donc composer avec les autres forces politiques, ce qu’ils ont déjà fait en tant que mouvement minoritaire. Ils ont notamment participé aux gouvernements, au niveau fédéral et dans plusieurs Länder, les États disposant de leurs propres constitutions, assemblées élues et exécutifs. Onze États allemands sont dirigés par une coalition incluant les Verts, parmi lesquels le Land de Bade-Wurtemberg dont ils sont à la tête.
Il faut bien avoir à l’esprit que les Grünen participent depuis vingt ans à des coalitions non seulement avec la sociale-démocratie, avec la gauche radicale de Die Linke, mais aussi avec le centre-droit de la CDU et les libéraux du FDP (Parti libéral-démocrate, droite). Une situation quelque peu différente de la France, où le principal parti écologiste, Europe Écologie – Les Verts (EELV) n’a jamais fait alliance ouvertement avec la droite, même dans les collectivités locales.
Or, pour pouvoir gouverner avec une majorité relative d’environ 30% – aucune enquête auprès des électeurs n’a projeté un score supérieur à celui-ci – les Verts allemands ne pourront pas compter uniquement sur la gauche, le SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne) plafonnant à 15%, et Die Linke (La Gauche) étant devenue, lors des derniers sondages d’intentions de vote et à ce jour, la sixième force politique du pays.
Coup de barre à droite des Verts, coup de barre à gauche du pays
Les écologistes allemands, qui semblent profiter d’un vote utile de la part de l’électorat de gauche allemand, n’auront logiquement pas d’autre choix, dans l’hypothèse d’une victoire de leur camp, de s’allier avec la CDU.
Il n’est même pas dit que la coalition Grünen-CDU obtienne à elle seule la majorité absolue, ce qui démontrerait certes un progrès net des forces écologistes mais aussi un effondrement inédit de l’Union chrétienne-démocrate, qui semble aujourd’hui incapable de réitérer les excellents scores obtenus sous l’ère Merkel.
L’hypothèse la plus probable, si la dynamique observée depuis un mois se confirme, serait donc une coalition Grünen-CDU-SPD, avec les Verts en pivot. L’ascension vers la victoire puis l’exercice des plus hautes responsabilités pousseront les écologistes allemands à se recentrer, pour ne pas dire se droitiser, notamment sur les questions régaliennes (Intérieur – Justice – Affaires étrangères). Il est d’ailleurs à noter que, comme en France, l’électorat des Verts se situe davantage dans les centres-villes et chez les jeunes que dans les campagnes et les quartiers ouvriers.
Néanmoins, cette configuration nouvelle serait clairement considérée comme un coup de barre à gauche de l’Allemagne, après seize années de domination de la droite et du centre-droit à l’échelon fédéral.
La personnalité européenne la plus puissante issue des Verts ?
Il est communément admis que la personnalité la plus puissante de l’Union européenne (UE) est celle à la tête de l’exécutif allemand.
Angela Merkel, en seize ans, aura imprimé sa marque sur l’UE, à travers notamment le Conseil européen, réunion des chefs d’États et de gouvernements des pays membres, Conseil qui détient davantage de pouvoirs que la Commission européenne et le Parlement européen.
Que la personne la plus puissante du continent européen soit issue des rangs écologistes agirait donc comme un mini-séisme, qui pourrait pousser à une coalition plus ferme chez la droite dure du PPE (Parti populaire européen, dont font partie Les Républicains mais aussi les droites ultra-réactionnaires à la tête de la Hongrie et de la Pologne) pour lui faire face.
Il pourrait ainsi y avoir une possible cohabitation entre des lignes très divergentes, notamment sur les questions sociétales, le libéralisme ayant depuis longtemps matricé le programme économique des Verts allemands.
Macron risque d’apparaître dépassé, son logiciel obsolète
Voyons en quoi ce glissement outre-Rhin pourrait avoir un impact sur notre paysage politique national. Si Emmanuel Macron s’affiche écolo-compatible, et même si les Verts allemands apparaissent macron-compatibles, le président de la République française, dont les fondements sont le néolibéralisme acharné en économie et l’autoritarisme assumé en affaires régaliennes, sera pris entre deux feux.
D’un côté, sa droitisation et sa reprise des thèses propres aux forces conservatrices et réactionnaires, dans le champ national, va l’éloigner des Grünen. De l’autre, il essaiera d’épouser la courbe de la relative transformation européenne par l’affirmation d’un fédéralisme européen, cher aux écologistes.
Il risque cependant d’être pris entre l’étau du PPE, des Républicains ainsi que du Rassemblement national d’une part et d’autre part les Verts comme pivot de la gauche européenne, dont française – et EELV ne manquera pas de pointer ses divergences avec le macronisme et les incohérences présidentielles dans les discours et les actes.
Plus dommageable encore pour Monsieur Macron, son image de jeune premier, de champion de la Terre à l’avant-garde de la préservation de l’environnement, sera très fortement écornée par des écologistes certes modérés mais bien plus volontaristes dans le renouvellement du personnel politique, voire dans le combat contre la personnification politicienne.
Une victoire des deux côtés du Rhin ?
En septembre 2021 se joueront, parallèlement, les élections fédérales allemandes et les primaires écologistes françaises, auxquelles vont notamment se présenter Sandrine Rousseau, Éric Piolle et Yannick Jadot. Si les écologistes allemands l’emportent et si leurs homologues français concentrent leurs tirs sur la Macronie, cette dernière pourrait flancher et dévoiler toute la tromperie de masse qui se cachait derrière le voile du nouveau monde promis en 2017.
De surcroît, les écologistes français sont, à ce jour, les seuls à pouvoir rendre caduque l’opposition droite / extrême-droite vendue par les médias nationaux à longueur de temps d’antenne, Jean-Luc Mélenchon se trouvant amputé de la force militante de terrain que représentent les communistes, les socialistes dont Olivier Faure prêts à se ranger derrière le vainqueur de la primaire écologiste, et le vote utile – qui est, chez beaucoup d’électeurs, loin d’être une chimère – pouvant jouer à plein pour un mouvement politique qui n’a encore jamais exercé les plus hautes fonctions du pouvoir d’État.
Dans l’hypothèse, aujourd’hui improbable mais tout à fait possible au vu de l’accélération de l’Histoire et de la recomposition politique au cœur de la crise, où un écologiste se qualifierait au second tour de l’élection présidentielle française, le vent du changement pourrait souffler sur la France – mais il ne faudrait alors nullement se bercer d’illusion, si ce changement ne s’accompagne pas des profondes transformations constitutionnelles nécessaires à la démocratisation de notre pays, dont la VIème République parlementaire et l’inscription de la santé des citoyens comme bien commun public et inaliénable.