Penser le racisme

Certains étudiantes et étudiants trop déprimés, à l’idée de sortir un jeudi saturnal et pluvieux, ont sûrement eu la brillante idée de regarder la télé le 9 novembre 2023.

Ils et elles devaient espérer une soirée tranquille avec leur coloc, hélas, ce dernier a décidé de flinguer leur mood.

Que voulez-vous, comme personne n’est prophète en son pays, l’étudiant sait être magnanime et laisse, exceptionnellement, le pouvoir de la télécommande à celui qui partage son toit … pour que le colocataire regarde l’émission en prime-time sur France 2, juste après le Journal Télévisé.

Devant ses yeux emplis d’horreur, le colocataire s’abrutit devant le ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin, venu défendre sa loi immigration, dans une émission, sobrement intitulée: L’événement, avec Gérald Darmanin (sic) et dont le sous-titre est “Immgration: comment la maîtriser ?” (re-sic).

En réalité, M. Darmanin n’est que très peu apparu à l’écran. Il était en duplex, pour une interview sur mesure censée donner le ton de l’émission où diverses personnalités politiques, de gauche mais surtout de droite, devaient débattre, pendant 2h30, en des termes qu’un absent avait choisi.

Pour tout dire, le ministre était ailleurs, en pointillés, mais le service public lui a littéralement déroulé le tapis rouge.

A celles et ceux qui ne paient plus leur taxe télé, Infoscope vous en donne une bonne raison.

Ce qu’ils appellent immigration

A toutes fins utiles, ce qu’ils appellent “immigration” est un phénomène anthropologique. Pour faire simple, s’il n’y a pas de migrants, il n’y a pas de civilisations car ces dernières sont la synthèse des échanges humains. Pas d’échange sans mouvement, pas de mouvement sans migration. CQFD.

Prenons un exemple au hasard: la France. On parle d’un territoire occupé par des celtes, puis annexé à Rome; on rappelle que le bon roi Clovis est allemand; qu’Henri IV avant d’accéder au trône de France était assis sur celui de Navarre, une région historiquement espagnole; que Napoléon est italien de naissance; et que même Gérald Darmanin s’appelle Moussa !

Les frontières sont également une création humaine très ancienne, nous en convenons. Elles formalisent les différences culturelles entre deux territoires.

Un bon fan de rugby connaît la différence entre un Français et un Anglais mais le fait qu’il en fréquente lors de joutes internationales montre que ces contradictions ne sont pas insurmontables, à moins d’un bien mauvais coup de la part de la perfide Albion, mais c’est le spectateur qui parle, pas le commentateur de la vie politique.

Pour celui ou celle qui serait victime d’éruptions cutanées à la vue d’un étranger, en revanche, il existe, encore aujourd’hui, des pays qui vivent en autarcie.

Il ou elle pourrait avoir le bonheur d’habiter à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord où il ne fréquentera personne de différent.

Blague à part, les échanges entre aires culturelles n’ont jamais été aussi intenses qu’en ce siècle alors même que la mondialisation est un phénomène pluriséculaire et malgré un contexte général de repli sur soi.

Rien que sur l’aspect économique, nous restons entièrement dépendants de la production chinoise, alors que la République populaire de Chine est clairement présentée comme un adversaire des intérêts occidentaux.

Mais “à ce qui parait”, la France a peur, voire est en apnée et à bout de souffle.

La population est éreintée après six mois d’une lutte contre la réforme des retraites qui était intense, belle, fondatrice… On pourra donner tous les superlatifs sur cette bataille mais elle est tout de même perdue.

Les Français sont surtout exténués de voir le prix de la vie augmenter alors que les revenus ne suivent pas.

Dans ce contexte anxiogène, ce n’est pas tant la jalousie envers les riches que la peur du déclassement qui prédomine. Ainsi, de crainte de devenir un laisser pour compte, le travailleur paupérisé s’insurgera contre les prétendus privilèges des assistés.

Et c’est ainsi qu’on passe de la lutte des classes à la guerre civile.

Quand Naël est décédé, on n’a parlé que d’immigration. Quand M. Attal, ministre de l’Education Nationale, n’a rien trouvé de mieux pour la rentrée qu’une polémique autour du port de l’abaya, c’était pour parler d’immigration.

Quand, en septembre, des dizaines de milliers de réfugiés sont arrivés à Lampedusa, en Italie, on a parlé d’immigration. Quand M. Dominique Bernard est sauvagement assassiné, on parle d’immigration. Quand on craint d’étendre le conflit israélo-palestinien en France, c’est parce qu’on a peur des immigrés.

Aucune enquête d’opinion ne confirme que l’immigration est une préoccupation majeure  des Français mais reste fréquemment mentionnée dans les sondages.

Mais qu’importe, puisque le marronnier de la presse à la solde des grandes fortunes relate l’angoisse fantasmée du grand remplacement.

Un remplacement de quoi par qui, ça personne ne saurait réellement le dire et encore moins le théoriser mais voilà, l’important c’est que ce vocable s’imprègne dans les cerveaux, et on peut dire que ça marche tout de même pas mal.

Ambitions politiques

Si les médias entretiennent la psychose, c’est parce qu’il y a des politiciens qui surfent sur la vague et en premier lieu, vous l’aurez deviné, M. Gérald Darmanin.

Le locataire de la place Beauvau ne prend plus la peine de dissimuler ses ambitions politiques, à savoir opérer la synthèse entre Les Républicains, famille politique dont il est issu, et la Macronie, à qui il a prêté allégeance dès 2017 et qu’il ambitionne de représenter à la prochaine échéance présidentielle.

En bon sarkozyste, il manie l’argument sécuritaire avec perfection. Et puisque l’air du temps est de draguer l’électorat du Rassemblement National, on peut dire qu’il n’y va pas avec le dos d’une cuillère.

D’ailleurs, Mme Marine Le Pen, candidate légitime du parti d’extrême-droite en 2027, s’est dite prête, dans une posture tout à fait républicaine sauce XXIe siècle, à voter le projet de loi sur l’immigration.

Nous n’avons pas la prétention d’être Nostradamus mais nous ne pouvons que remarquer la distance, plus courte pour la fille de Jean-Marie que pour l’actuel ministre vers le perron de l’Elysée.

Le Tourcoignais est un fin lecteur de Machiavel. Il avance pas à pas et tout d’abord il doit faire preuve d’autorité.

Avec cette loi, il conteste ouvertement le leadership du gouvernement, pour l’instant incarné par Mme Elisabeth Borne en sa qualité de première ministre. Celle-ci le lui rend bien sachant que si l’ex-sympathisant des royalistes de l’Action Française n’opère pas de synthèse, son projet de loi sera flingué et il n’est pas sûr qu’un enième 49-3 sauve sa carrière politique.

En tout état de cause, le ministre joue gros mais que voulez-vous ? Le jeu en vaut la chandelle pour celui qui aspire à incarner la suite de Jupiter. Cette victoire politique le lancerait probablement à la conquête du pouvoir (du moins il ne peut que l’espérer). S’il perd, il se fera damer le pion par quelqu’un, au sein du gouvernement, qui a les dents aussi longues que lui.

Il existe aussi un monde où, à défaut de majorité c’est le groupe présidentiel qui implose, empêchant l’exécutif de gouverner – déjà qu’il est bien isolé – et dans ce cas de figure, si le gouvernement tombe, dans un tel contexte, les seuls qui pourraient tirer leur épingle du jeu viendront de la droite voire de l’extrême-droite.

La situation est explosive et en ces temps troublés, la gauche marche sur des œufs.

Si effectivement, une motion de censure est déposée à l’Assemblée Nationale sur ce texte, la voter avec la droite et les factieux est un risque de défaite symbolique, politique voire électorale lors d’un scrutin législatif anticipé. Mais si elle n’était pas votée, alors la gauche pourrait craindre le pire pour 2027, à savoir être tout simplement hors-jeu.

Un enjeu plus politicien que politique

On l’aura compris, derrière cette loi immigration concoctée par le gouvernement se joue tout, sauf le sort des travailleurs étrangers.

Depuis 1945, il y a une loi sur l’immigration tous les deux ans, alors que les frontières sont fermées en France depuis le 3 juillet 1974 et que le pays accueille déjà relativement peu d’étrangers.

Une fois cela posé, on comprend que ce qui s’est passé à Lampedusa, en Italie, en septembre n’est que le premier épisode d’une pression migratoire qui peut devenir un véritable problème si les moyens matériels et humains sont défaillants.

Évidemment, nous ne parlons pas d’augmenter l’arsenal militaire des policiers, nous pensons plutôt à une refonte de fond en comble du système: de la cave au grenier, du droit à la pratique.

Ce n’est pas un hasard si l’Egypte du général Sissi est plus que frileuse à accueillir les réfugiés politiques venant de la bande de Gaza. Elle n’en a pas les infrastructures.

Mais ce n’est pas mieux chez nous. À Angers par exemple, le centre social d’urgence a dû déménager sous un pont pour laisser place à la nouvelle patinoire.

Car à force de laisser, par convention, les pays situés au sud de la mer Méditerranée, s’occuper de la sécurité des frontières européennes à la place des États souverains de cette même zone géographique, cela engendre les catastrophes annoncées faisant du plus grand espace maritime du monde un cimetière à ciel ouvert :  l’Organisation Internationale pour les Migrations, dépendante de l’ONU, estime que chaque jour 6 réfugiés meurent lors de la traversée.

C’est environ dix fois plus en un an que le nombre total de personnes assassinées par des djihadistes en France depuis 2012.

Le dérèglement climatique, la crise économique, la guerre seront le quotidien de la population mondiale dans les années à venir et sans réponse coordonnée, on parlera effectivement d’un problème.

Nous ajouterons que cette donnée est profondément politique: s’il est impossible de lutter contre les migrations, pourquoi s’évertuer à fermer les frontières ?

Être un pays raciste 

Rappelons que le profil de l’immigré n’est pas celui du prolo qui cherche à vivre la vie de rêve en profitant des allocs.

Non, il s’agit au contraire d’étudiants (1 demandeur de titre de séjour sur 2 en France). Il est déjà difficile de faire avaler à un diplômé en physique nucléaire l’idée de bosser pour Uber Eats, imaginons la tête de celui ou celle qui est arrivé l’esprit plein de rêves.

Car contrairement à la France, où l’accès aux études supérieures est très largement massif, ce n’est pas nécessairement le cas dans d’autres pays, où celles-ci restent tout de même réservées aux élites locales.

Pour le gouvernement des riches, c’est un comble parce qu’il s’agit d’une perte de crédibilité voire même d’attractivité, quand il accueille les populations allochtones de la pire des manières en les stigmatisant au passage.

Il est pratique de penser que la France est un pays raciste. Cela fleurit, ci et là, sur les profils Twitter de militants antifascistes. Pourtant, quand il s’agit de penser le racisme, tout d’un coup les paroles se font rares.

N’en déplaise à la gauche, être un « racisé » ne veut rien dire. Déjà parce que ce terme porte en lui-même le ver qu’il faudrait pourtant éradiqué : est entendu comme « racisé » la personne non-blanche et qui connaît un traitement spécifique à cet égard.

La multiplication des agressions policières en est le symbole.

Mais qu’en est-il du Cheikh qui vient faire les soldes avec ses enfants sur les Champs Elysées ? Peut-on, décemment le prendre pour un « racisé » ?

De la même manière, l’enfant d’un marocain de seconde génération, peut souffrir de remarques déplacées dans la cour d’école mais sa vie sera-t-elle la même que le tâcheron, sans-papier, recruté pour trier des pommes dans les vergers de l’est du Maine-et-Loire ?

Puisque ce débat dépasse le cadre du ressenti, il faut rappeler les faits: environ 10% des travailleurs étrangers n’ont pas de papiers

Ça, c’est une preuve, tangible et irréfutable, que la France est un pays raciste.

Sans vouloir offenser le citoyen français d’origine étrangère, pour qui le contrôle de police peut mal se passer, il se passera toujours mieux si on présente la carte d’identité.

C’est bien simple: quand on n’a pas de papier, on n’a pas de droit.

On ne peut pas profiter de la Sécurité Sociale, on ne peut pas prendre un simple logement. Quand on n’a pas de papier, on est tout simplement exclu du système.

“Il y aurait matière à se saisir de ce débat de société !”

Comme un symbole, à part pour ceux qui ont intérêt à discuter de cette loi — basiquement la droite et les factieux —, tout le monde s’en fiche. Du moins dans les traces d’un Sénat, bien vide…

Pourtant il y aurait matière à se saisir de ce débat de société !

A ce propos, Emmanuel Macron se veut même ouvert à l’option du référendum.

C’est là que la question devient plus qu’intéressante. La proposition du président n’est ni plus ni moins que de définitivement déterrer la hache de guerre.

Tandis que les pauvres s’entredéchirent sur un débat aux termes qui seront, quoiqu’il arrive, mal posés, les riches continueront à faire du business.

Ne nous y trompons pas, il n’est pas anodin de parler de « flux migratoire » comme s’il s’agissait d’une marchandise. Parce qu’en fait c’est ce que sont ces femmes et ces hommes.

Sinon pourquoi ne peut-on pas accueillir des étrangers déjà sur le sol européen, comme en Italie ?  Et que dans le même temps, la France refuse la sortie de migrants vers la Grande-Bretagne au prétexte des accords bilatéraux liant les deux pays.

On reproche à la Libye d’être devenue un territoire gangréné par des passeurs organisant la traite d’êtres humains. Mais qui a bombardé le pays et contribué à le déstabiliser,  si ce n’est la France de Sarkozy ? Est-ce que celle d’Hollande ou de Macron s’est engagée à le reconstruire afin d’éviter la prolifération du double problème des djihadistes et des passeurs (quand ceux-ci ne sont pas les mêmes) ?

Tout le monde connaît déjà la réponse…

En gardant les frontières fermées et en maintenant, sur le sol français, une citoyenneté à plusieurs vitesses, on affaiblit les travailleurs ! Tout le monde le sait, des travailleurs divisés sont des salariés qui subiront reculs sur reculs, défaites sur défaites…

De fait, refuser la citoyenneté à des étrangers participant à l’économie nationale, c’est réactualiser le caractère impérialiste de la France.

C’est aussi un instrument de pouvoir. Sans tomber dans la thèse du grand remplacement, il est évident que les puissances étrangères se penchent sur le cas des autochtones résidant à l’étranger et il ne s’agit pas que de pays en voie de développement.

Nous avons observé, comment Israël fait de la propagande dans les synagogues angevines, par l’intermédiaire de la littérature religieuse notamment. Même si ici, personne n’ose parler de prosélytisme.

Un sujet sensible

Nous pouvons comprendre que c’est un sujet délicat et qu’il provoque l’anxiété chez nos concitoyens mais il est douteux que ce projet de loi soit de nature à apaiser les débats.

Quand on regarde dans le détail son contenu, on voit bien qu’il ne concerne que  des dispositifs marginaux : en d’autres termes, on ne propose aucun projet de société, seulement des mesures d’opinion publique.

Au moins, on ne reprochera pas au Rassemblement National, sur ce sujet, le programme le plus cohérent. Avec sa préférence nationale, nul doute qu’on y verra un certain volontarisme à faire le ménage.

Bon, évidemment, c’est se condamner à avoir un policier à chaque coin de rue mais comme dirait le rappeur marseillais Jul, on n’a rien sans rien.

Cela posera bien évidemment d’autres problèmes, notamment d’ordre démographique car il n’aura échappé à personne que la France a durablement entamé sa transition or si les parents ne font plus d’enfants et que les étrangers sont refoulés à l’entrée du pays, comment va t-on le peupler ?

Ce n’est pas comme si notre système de protection sociale était basé sur l’augmentation de la population active donc de la population en général !

C’est bien simple, sans renouvellement, nous assisterons à un effondrement généralisé du modèle qui fait la fierté du peuple français. Cet argument, nous le connaissons tous, c’est celui employé pour expliquer qu’il nous faut travailler plus longtemps.

Mais travailler plus longtemps ne résout pas le problème, il le repousse seulement.

L’ouverture des frontières est donc une opportunité de renouveler le pacte civilisationnel tout en assurant la vitalité de notre modèle social.

Là encore, on remarque que la loi immigration de M. Darmanin est une entreprise de démolition des conquêtes des travailleurs français … qui n’étaient pas tous, français !

L’enjeu est de définir ce qui fonde la puissance d’une Nation. Si au temps des empires coloniaux, s’absoudre passait par “la mission civilisatrice”, à savoir concrètement par le passage à tabac de bon nombre de petits noirs, d’arabes et autres vietnamiens par les hussards noirs de l’Education Nationale , tout cela est passé de mode depuis l’instauration de la Ve République, en 1958.

Le général de Gaulle n’était pas un enfant de cœur et sans doute était-il un impérialiste convaincu mais restait un pragmatique qui s’est rendu compte du bourbier que représentait la colonisation.

Depuis, la France s’est faite la championne de l’exception culturelle, en cultivant son art de vivre et son cinéma.

Forcément, se dire que le couscous fait partie des plats préférés des Français, ça doit irriter sa gastronomie, même si on oublie que ce plat international se déguste de longue date dans les assiettes françaises.

A l’heure où les cultures sont interconnectées, parler d’exception relève de la déclaration d’intention. Sous l’effet des forces productives mondialisées , les spécificités nationales tendent à s’affaisser. Pourquoi ne pas faire le pari du bon sens, à savoir ouvrir les frontières ?

Ce serait une bonne question pour un référendum.

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