Budget 2024 : un sacrifice des territoires au nom de l’austérité
Lundi 18 novembre, le 106e congrès des maires de France s’est tenu dans un contexte de tension palpable. Au Palais du Luxembourg, les petits fours offerts par des sénateur-ice-s soucieux de leur réélection en 2026 n’auront sans doute pas suffi à faire oublier les coupes budgétaires absurdes exigées par la minorité présidentielle. En toile de fond : un bras de fer budgétaire qui exacerbe la défiance entre l’État et les élu-e-s locaux.
Les collectivités locales, boucs émissaires de l’État
La polémique a éclaté dès avril. Bruno Le Maire, alors ministre des Finances, puis Emmanuel Macron ont pointé du doigt les collectivités locales comme responsables du déficit de l’État. Une sortie qui a fait grand bruit : dans une interview accordée à L’Express, Emmanuel Macron affirmait que « hormis une dérive des dépenses initialement prévues qui est du fait des collectivités locales, il n’y a pas de dérapage de la dépense de l’État. » (article payant, NDR)
Une citation pour le moins audacieuse dans le contexte de rigueur budgétaire qui s’annonce.
La censure du gouvernement peut représenter un espoir pour des élu-e-s locaux qui voient en ce vote un sursis à leur peine. Dans tous les cas, cette décision aura mis en lumière les failles dans l’élaboration de la stratégie économique du gouvernement.
Les deux chambres du Parlement se sont engagées dans des enquêtes approfondies. Le Sénat a mis en place une mission d’information sur « la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l’administration et le Gouvernement, ainsi que les modalités d’information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France ». Parallèlement, l’Assemblée Nationale a instauré une commission d’enquête visant à « étudier et rechercher les causes des variations et écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 ».
À ce jour, aucun rapport officiel n’a été publié par l’une ou l’autre institution. Cependant, les vidéos des auditions, bien qu’elles aient suscité très peu d’écho médiatique, sont disponibles en ligne.
Au Sénat, le 7 novembre, Bruno Le Maire, ministre des Finances en 2023, a déclaré « assumer toutes ses responsabilités ». Attribuant la situation à une grave erreur technique d’évaluation des recettes, tout en se dédouanant d’une participation directe de la dite évaluation. Qui alors peut être tenu responsable ? Les fonctionnaires de Bercy ? Les élu-e-s locaux ?
À l’Assemblée Nationale, le 12 décembre, Bruno Le Maire, sous serment, estime que c’est l’Assemblée qui ne veut « pas réduire la dette » ou « de plan sérieux de réduction des plans de baisse des dépenses publiques en France ». Plus tard, il éclaire ses interlocuteurs sur sa vision des dépenses publiques : « 50 % des dépenses publiques concernent le social et les retraites, 30 % l’État, et 20 % les collectivités locales. Tant que nous ne réduirons pas la part des dépenses sociales et des retraites en repensant notre modèle social français (…), nous continuerons à accumuler déficits et dettes. »
L’ancien ministre est clair, il ne s’agit pas d’un problème de calcul mais de l’idéologie nauséabonde des quinquennats Macron. Ici ce ne sont plus les collectivités territoriales ne en cause dans ce « dérapage », le véritable problème réside dans notre modèle social français. Qu’en est-il de sa responsabilité ? Sera-t-il inquiété pour la situation économique de notre pays ?
Les débats, qu’ils soient au sein des commissions ou en séance sur le Projet de Loi de Finances (PLF) auront dans tous les cas alimenté un climat de tension entre l’exécutif et les élu-e-s locaux. Et pour cause : le PLF prévu par le gouvernement Barnier, prévoit 60 milliards d’économies, dont 5 milliards imputés directement aux collectivités territoriales. Pour la communauté urbaine d’Angers Loire Métropole, ce sont environ 2,8 millions d’euros de mise à contribution qui sont demandés. La Présidente de la Région des Pays de la Loire a tout simplement décidé de tuer la culture dans sa région en utilisant le motif des coupes budgétaires pour supprimer 73% du budget de fonctionnement de la culture. Elle effectue 100 millions d’économies, quand le gouvernement Barnier lui en demandé 40. Au total 2443 personnes pourraient perdre leurs emplois.
Bien qu’obligées de respecter l’équilibre budgétaire et interdites de recourir à l’endettement, les collectivités peinent à se défendre face à ces accusations, limitées par une faible visibilité médiatique et confrontées à une défiance croissante ainsi qu’à des violences importantes de la part des administré-e-s. Les maires sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à démissionner.
Une dissolution stratégique pour éviter un budget explosif
Certain-e-s estiment que cette situation budgétaire explosive, combinée à l’impopularité des coupes, a pesé dans la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale avant le vote du budget. Une manœuvre qui lui aurait permis d’éviter une défaite encore plus spectaculaire aux élections législatives anticipées. L’impopularité semble se déplacer du côté des premiers ministres, François Bayrou, actuel premier ministre sera peut-être lui aussi victime de cette cynique stratégie.
Les collectivités territoriales sont souvent invisibles dans le débat national, mais leur rôle dans la vie quotidienne des citoyens est pourtant essentiel. Les coupes annoncées risquent de fragiliser encore davantage les services publics locaux. Les élu-e-s locaux tirent la sonnette d’alarme : si les collectivités sont asphyxiées, ce sont les citoyen-ne-s qui en paieront le prix. Entre les personnes en situation de handicap et les mineurs non accompagnés, qui doivent-ils abandonner ? Entre les bibliothèques et les maisons des associations, lesquelles doivent fermer ? Ces choix, aussi absurdes qu’insoutenables, illustrent l’impasse dans laquelle sont placés les élu-e-s.
Les élu-e-s se retrouvent maintenant dans une double peine cumulant rigueur et incertitude liée à un futur projet de loi finance dont personne ne connait encore les contours.
Ce sont les départements, portant l’essentiel des compétences sociales, qui sont les plus touchés par les restrictions budgétaires. Déjà affaiblis par la chute des recettes liées aux droits de mutation (DMTO) et les dépenses accrues liées à la crise sanitaire (hausse du RSA, revalorisation des aides sociales), ils doivent maintenant assumer 40 % des 5 milliards d’économies exigées. La non-indexation des dotations sur l’inflation, qui touche elle l’ensemble des collectivités, aggrave encore leur situation. Ces restrictions mettent à l’épreuve non seulement notre modèle social, mais aussi la cohésion territoriale de la République.
Face à cette attaque, les élus locaux ont tenté de se faire entendre. Les associations de collectivités, comme l’Association des maires de France, Intercommunalités de France, Départements de France ou Régions de France ont multiplié les communiqués et interviews pour alerter sur la situation. Lors du congrès des maires, de nombreux élu-e-s ont arboré des écharpes noires en signe de protestation, symbolisant leur impuissance face à ce qu’ils qualifient de « mise à mort des communes. »
Un bras de fer État-collectivités
Au-delà des chiffres, ce conflit budgétaire met en lumière une défiance croissante entre l’État central et les élu-e-s locaux. En désignant ces derniers comme responsables, le gouvernement fragilise leur légitimité auprès des citoyen-ne-s. Pourtant, ces élu-e-s restent souvent le dernier rempart de la démocratie de proximité, incarnant un lien direct avec les habitant-e-s. L’abstention aux municipales plafonne d’ailleurs à 35 %, et l’IFOP a sorti cette semaine un sondage montrant que 70 % des français-e-s ont une opinion favorable de leurs maires, le maire apparaissant sans doute comme « un acteur de confiance » face à l’instabilité politique actuelle.
Loin d’être un simple débat technique, cette crise budgétaire soulève une question cruciale : quel avenir pour nos collectivités ? Elles sont au cœur de notre quotidien et jouent un rôle fondamental dans notre modèle sociale. Pourtant, elles semblent aujourd’hui sacrifiées sur l’autel de la rigueur budgétaire. Alors que les élus locaux peinent à se faire entendre, la fracture entre l’État central et les territoires s’élargit. La censure historique du budget Barnier aura au moins donné un sursis et souligné l’urgence de revoir la place des collectivités dans l’élaboration des politiques nationales. Face à cette urgence, il est temps de repenser les priorités budgétaires et de renouer avec une politique qui place les citoyens de manière durable au centre des décisions.
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