En préparant la guerre contre la Russie, Emmanuel Macron fait le jeu de Vladimir Poutine
Bientôt des soldats français sur le front ukrainien ? « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu » a déclaré le Président de la République lundi 26 février 2024, à l’issue de la rencontre d’une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement à Paris, à l’initiative d’Emmanuel Macron. Ce dernier a encore insisté lors de la même conférence de presse : « La défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe » [1].
Ligne extrême et confirmée
Mercredi 28 février, le Premier ministre Gabriel Attal assurait devant le Sénat le service après-vente de la déclaration de M. Macron. « A l’époque, il y a deux ans [lors du déclenchement de l’invasion russe en Ukraine, NDLR], beaucoup excluaient des modalités de soutien qui se sont ensuite révélées effectives. Moi, je me souviens au début de ce conflit, entendre beaucoup de responsables politiques, y compris chez un certain nombre de nos alliés, exclure absolument la possibilité que nous soutenions les Ukrainiens avec des missiles ou des chars. A l’époque, on parlait plutôt de sacs de couchage et de jumelles. (…) Nous l’avons vu, la Russie a changé de posture. Sa posture s’est durcie. (…) La réalité, c’est que la Russie est une menace directe et immédiate pour la France, sur tous les plans. (…) Dans ces conditions, le Président de la République est interrogé. Il lui est demandé s’il y a des perspectives qu’il peut exclure par principe. Au regard de tout ce que je viens de vous dire, de l’historique que nous avons sur ce conflit, du changement de posture de la Russie, est-ce qu’en responsabilité le Président de la République peut dire qu’il exclut par principe certaines perspectives ? Je ne le crois pas. » [2]
La ligne politique extrêmement belliqueuse tenue au sommet de l’État par l’exécutif français a engendré de nombreuses prises de position des gouvernements alliés de l’Ukraine contre l’envoi de troupes occidentales sur le front [3]. Pour autant, cette ligne est bien confirmée par M. Attal. Est-ce un jeu de dupes pour opérer une manœuvre politicienne interne à la France ou une promesse sérieuse formulée en privé par M. Macron lorsqu’il a reçu le Président ukrainien Volodymyr Zelenski le 16 février dernier [4] ? Dans les deux cas, le Président de la République française s’attelle à un exercice dangereux qui fait objectivement le jeu du Président russe, Vladimir Poutine.
Le troisième round
Depuis son accession à l’Élysée en mai 2017, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de conférer au Rassemblement national (RN) le rôle de principal opposant à la politique gouvernementale. Il a sciemment participé à créer les conditions d’une reproduction du second tour, en 2022, de l’élection présidentielle précédente, voyant en Marine Le Pen l’adversaire la plus facile à battre pour assurer sa réélection.
A force de jouer avec le feu, c’est la France qui brûle. Mme Le Pen apparaît comme l’alternance à M. Macron et son élection en 2027 devient une perspective crédible, à laquelle se rallie une part toujours plus large de la bourgeoisie hexagonale. Le prochain scrutin en France, qui verra l’élection des députés au Parlement européen le 9 juin 2024 et que le RN qualifie d’élection « de mi-mandat » [5], verra d’après toutes les enquêtes d’opinion le triomphe de l’extrême-droite. Le sondage Odoxa pour Public Sénat et la presse quotidienne régionale publié le 26 février dernier donne le RN à 30% des intentions de vote, soit une avance de 11 points sur la coalition présidentielle [6].
Conscients d’avoir entamé leur fin de règne, la Macronie et son premier chef multiplient les attaques contre le RN, que ce soit au Salon de l’Agriculture [7] ou dans l’hémicycle parlementaire. M. Attal, lors des questions au gouvernement mardi 27 février, a répondu à une question de Mme Le Pen en faisant mine de s’interroger « si les troupes de Vladimir Poutine ne sont pas déjà dans notre pays, je parle de vous et de vos troupes » [8]. Du côté de l’Élysée et de Matignon, user de la situation internationale et de la guerre en Ukraine pour battre ou, à défaut, combattre le RN qui a longtemps entretenu avec Vladimir Poutine une relation amicale, voire une inspiration nationaliste [9], c’est faire preuve d’une inconséquence lourde.
Un ennemi pour unir
Cette tactique du camp présidentiel pose deux problèmes majeurs. Le premier est que la défiance, si ce n’est la colère et le dégoût, à l’égard d’Emmanuel Macron et de ses lieutenants atteint un tel degré d’enracinement chez les classes exploitées de France que tout adversaire, désigné ou proclamé, qui se mesure face à eux bénéficie logiquement d’une sympathie proportionnelle. Le second est que, s’il s’avère que M. Macron utilise ses déclarations sur l’Ukraine comme un contre-feu à la révolte paysanne et à la progression du RN dans l’opinion publique, alors il accorde bien peu d’importance à la parole de la France sur la scène internationale.
Désigner un ennemi extérieur, la Russie, qui disposerait à l’intérieur de nos frontières d’une « cinquième colonne » que serait le RN, revient à appliquer en France la même méthode que celle employée par M. Poutine pour asseoir sa domination sur la société russe. Le Président de la Fédération de Russie utilise l’ennemi ukrainien, qu’il prétend vouloir « démilitariser » et « dénazifier », pour unir sa nation – et en particulier ses travailleurs – derrière les oligarques et le Kremlin afin de faire taire toute contestation, vue dès lors comme une menace pour la nation et comme l’alliée objective de l’ennemi extérieur.
L’Ukraine perd la guerre
Quelle que soit la nature des relations entre deux États-nations, et a fortiori deux groupes d’États-nations, celles-ci ne peuvent s’exprimer en fin de compte que de deux manières : par la guerre ou par la diplomatie.
Vladimir Poutine a dupé ceux, dont M. Macron, qui avaient maintenu une politique diplomatique active en faisant le choix de la guerre contre l’Ukraine. Dès lors, sans que les diplomates russes ne soient expulsés du territoire français et en conservant des canaux de communication avec ou sans intermédiaire, la France au sein de l’Union Européenne (UE) et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a choisi de répondre sur le terrain militaire par un soutien toujours plus massif et concret aux forces armées ukrainiennes.
La sortie d’Emmanuel Macron le 26 février sur la possibilité d’envoyer des troupes occidentales, donc françaises, sur le sol ukrainien face à l’armée russe fait franchir un cap à l’engrenage de la guerre. Cela révèle a minima deux réalités : la première est que l’Ukraine est en train de perdre la guerre face à la Russie et qu’elle désespère d’obtenir une victoire même partielle ; la seconde est que le Président français se fait désormais le porte-voix des plus bellicistes des alliés de M. Zelensky.
Vers la Troisième Guerre mondiale ?
Mais la France n’est pas n’importe quel pays et il semble que cette place singulière échappe aux agitations de la Macronie. Elle joue historiquement un rôle de premier ordre dans la diplomatie internationale de par sa capacité à échanger avec les différentes parties d’un même conflit. De surcroît, elle est la seule nation de l’UE à disposer de l’arme atomique.
Que les dirigeants polonais s’aventurent à parler d’envoi de troupes sur le front ukrainien aurait donc moins étonné que la déclaration de M. Macron qui décide de se jeter, et sa nation avec, tête baissée dans la logique de la guerre. Pourtant, cette logique est celle imposée par M. Poutine et dans l’état actuel du rapport de forces, l’Ukraine ne peut pas vaincre militairement – à moins, nous y revenons, de bénéficier du renfort des troupes occidentales de l’UE et de l’OTAN sur le terrain. Sauf qu’un conflit armé, ouvert et direct entre deux grands États-nations détenteurs de l’arme atomique aboutirait avec certitude à une généralisation internationale et une propagation immédiate du conflit, c’est-à-dire à une Troisième Guerre mondiale, telle qu’évoquée mardi 27 février par le porte-parole de l’ambassade de Russie en France sur le plateau de BFMTV [10].
Que la logique de la guerre prenne de l’ampleur n’est donc absolument pas souhaitable pour l’ensemble des parties prenantes et pour l’humanité en général. Si de nombreuses allusions à la Seconde Guerre mondiale ont été employées pour qualifier le régime de Vladimir Poutine, qui est à n’en pas douter une dictature, et la guerre en Ukraine, c’est en réalité bien davantage à la Grande Guerre impérialiste de 1914-1918 qu’il convient de se référer pour analyser le conflit en cours, comme nous l’expliquions il y a un an dans nos colonnes [11]. Cette guerre entre puissances impérialistes n’aurait des gagnants que dans le camp de la bourgeoisie capitaliste, et n’aurait que des perdants au sein des classes exploitées.
Le fusil ou la plume
L’Ukraine perd la guerre et plus la guerre durera, plus elle perdra. La logique de la guerre, à moins de basculer dans un conflit mondial, ne peut en l’état aboutir qu’à la défaite de l’Ukraine. Cette logique est précisément celle imposée par Vladimir Poutine. Il importe donc de contraindre M. Poutine et le régime russe à se plier à la logique diplomatique. Par définition, nous ne négocions qu’avec des adversaires voire des ennemis ; il s’agit donc de négocier les termes d’une paix durable et acceptable par les deux belligérants. La Russie pourrait accepter le retrait de ses armées de l’Ukraine, hors Donbass et Crimée, à la condition que l’Ukraine n’adhère pas à l’OTAN ; l’Ukraine pourrait accepter la fin des hostilités sans recouvrer l’intégralité de son territoire de 2013, à la condition de rester souveraine et indépendante de la Fédération de Russie.
Chaque jour de guerre qui passe voit des cadavres supplémentaires, de soldats russes et ukrainiens, s’empiler dans des fosses communes. Chaque munition fournie par les puissances occidentales à l’armée ukrainienne a pour dessein ultime de traverser la peau d’un soldat russe pour faire cesser de battre son cœur. Chaque jour de trêve, de diplomatie et de paix sauverait des vies humaines. Aucune négociation de paix ni aucune armistice, aujourd’hui, ne verrait la victoire intégrale ou la défaite totale des belligérants. Tout ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que plus la logique de la guerre se renforce, plus les pertes seront nombreuses.
La paix est la seule option pragmatique
Imposer la voie diplomatique à la Russie, au Kremlin et à Vladimir Poutine est la première et unique manière de leur infliger une défaite : les sortir de la logique de la guerre. A l’inverse, quand Emmanuel Macron prépare la République française, les armées et les esprits à la guerre frontale contre la Russie, il fait s’éloigner la perspective d’une résolution diplomatique en laissant très clairement entendre qu’il ne peut y avoir qu’une victoire totale russe ou une victoire totale occidentale.
Ceux qui décident des guerres ne sont pas ceux qui envoient leurs enfants au front, de surcroît dans le cadre d’une guerre impérialiste. Ceux qui sont en train de décider d’une guerre entre deux États-nations membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et détenteurs de l’arme nucléaire engagent la vie de millions, si ce n’est de milliards d’êtres humains. Il nous faut ramener nos dirigeants à la raison par un pacifisme radical et pragmatique, compte tenu de l’intérêt supérieur des peuples du monde à ce que la situation difficile d’aujourd’hui ne conduise pas demain à notre propre anéantissement.
Références
1 : https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-rien-ne-doit-etre-exclu-declare-emmanuel-macron-au-sujet-de-l-envoi-de-troupes-occidentales-a-l-avenir_6390268.html
2 : https://www.bfmtv.com/politique/gabriel-attal-sur-la-guerre-en-ukraine-la-realite-c-est-que-la-russie-est-une-menace-directe-et-immediate-pour-la-france-sur-tous-les-plans_VN-202402280624.html
3 : https://www.liberation.fr/international/europe/propos-de-macron-envoyer-des-troupes-en-ukraine-ne-serait-absolument-pas-dans-linteret-des-occidentaux-avertit-moscou-20240227_KFWJ7ZQZJ5E7NOKWA2BZMOCRQM/
4 : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/02/16/visite-de-volodymyr-zelensky-president-de-lukraine
5 : https://www.youtube.com/watch?v=0OQwYERy6fQ
6 : https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/europeennes-lecart-se-creuse-entre-le-rn-et-renaissance-la-popularite-dattal-en-forte-chute
7 : https://www.lepoint.fr/politique/salon-de-l-agriculture-macron-et-attal-chargent-le-rn-de-bardella-apres-le-bordel-de-samedi-26-02-2024-2553418_20.php
8 : https://www.bfmtv.com/politique/gabriel-attal-a-marine-le-pen-il-y-a-lieu-de-se-demander-si-les-troupes-de-vladimir-poutine-ne-sont-pas-deja-dans-notre-pays-je-parle-de-vous-et-de-vos-troupes_VN-202402270560.html
9 : https://www.lexpress.fr/politique/liens-du-rn-avec-la-russie-ce-que-revele-lenquete-du-washington-post-CBJ6XDHL3RGCZIHSZ3TWC22IZQ/
10 : https://www.youtube.com/watch?v=6NfCm-tnCT4
11 : https://infoscope.live/2023/01/28/pourquoi-linteret-general-soppose-a-la-livraison-darmes-a-lukraine/
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