Avec sa réforme des retraites, le gouvernement français s’enfonce dans le dogmatisme le plus aveugle

La Première ministre Élisabeth Borne, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, le ministre du Travail Olivier Dussopt et le ministre de la Fonction publique Stanislas Guérini ont présenté, mardi 10 janvier en conférence de presse, la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron que nous pouvons résumer en un principe unique : faire travailler plus longtemps.

Enrobage fallacieux

Derrière un pupitre et devant un arrière-plan ornés des slogans “Pour nos retraites” et “Justice, Équilibre, Progrès”, les membres du gouvernement français ont enrobé de leurs arguments fallacieux l’injustice profonde d’un projet de loi qui reporte de deux années l’âge légal de départ à la retraite pour les salariés de notre pays, qui passera donc selon les plans de l’exécutif de 62 à 64 ans.

Dans un contexte de profonde crise économique, l’argument d’autorité consistant à répéter que le déséquilibre du système de retraites par répartition serait insoutenable dans les années à venir sonne creux. Et pour cause : entre la préoccupation de la fin du mois et l’inquiétude de la fin du monde, l’aspiration à une retraite en bonne santé se trouve écrasée par un système capitaliste reposant sur l’exploitation jusqu’à épuisement des travailleurs comme des ressources naturelles et dont le gouvernement de monsieur Macron se fait le bras armé politique.

Méthodes répétées depuis trente ans

Parmi les rares vérités concédées par les politiciens, journalistes ou prétendus experts acquis à la doctrine ultra-libérale, il en est une sur laquelle nous avons intérêt à nous attarder : si la proportion de retraités augmente dans la population française, et que la proportion d’actifs diminue parallèlement, il existe trois leviers pour maintenir le système par répartition. Il s’agit du niveau des pensions de retraites, du niveau des cotisations sociales et de la durée de travail dans la vie.

Depuis trente ans et le gouvernement d’Édouard Balladur en 1993, ceux d’Alain Juppé en 1995, de Jean-Pierre Raffarin en 2003 et de François Fillon en 2010, les discours assénés et les méthodes employées s’avèrent systématiquement identiques : nos retraites sont en danger, il est inconcevable de baisser les pensions de retraite, il est insupportable d’augmenter les cotisations sociales et il est donc nécessaire d’allonger les carrières, de contraindre les salariés et travailleurs indépendants à poursuivre le travail sur plusieurs trimestres – mais ne vous inquiétez pas, la réforme présentée va équilibrer durablement l’Assurance vieillesse et les efforts présentés aujourd’hui seront suffisants pour assurer la pérennité de notre modèle social pour les générations à venir.

1 point contre 1000 pourcents

Les mesures prises depuis trois décennies s’inscrivent donc dans le même dogme qui n’envisage, en toutes circonstances et quelle que soit la réalité sociale traversée par les travailleurs en France, qu’une seule option : agir sur le levier de la durée de travail dans la vie.

Dans la conférence de presse du 10 janvier 2023, Bruno Le Maire a précisé que 13,5 milliards d’euros étaient nécessaires à l’équilibre du système de retraite à l’horizon 2030, et que le plan du gouvernement dégagerait 17,7 milliards d’euros d’économies d’ici cette échéance. Le ministre de l’Économie a alors concédé que “pour parvenir au même objectif“, “il faudrait une augmentation de 1 point de cotisations sociales“, sous-entendant qu’une telle augmentation serait intenable pour les employeurs.

Augmenter de un pourcent le niveau de cotisations salariales et patronales serait donc à ce point invraisemblable qu’il n’est jamais venu à l’esprit de nos gouvernants de l’envisager, mais ces mêmes gouvernants s’accommodent de l’augmentation de 1000% – mille pourcents – de la facture énergétique sur de nombreuses professions, augmentation qui est devenue réalité en l’espace de quelques mois seulement, entre l’automne 2022 et aujourd’hui, obligeant de nombreux artisans notamment à baisser les bras et mettre la clé sous la porte.

L’augmentation des salaires ? Même pas en rêve

Dans la même tirade du ministre de l’Économie, monsieur Le Maire a expliqué que, selon lui, augmenter de 1 point les cotisations sociales revenait à “440 euros de revenus nets annuels en moins pour 2030“.

Il est ici question du même dogme ultra-libéral considérant qu’augmenter les cotisations ne peut se faire que dans le cas où le salaire net baisserait d’autant, avec un salaire brut inchangé. Là encore, il est toujours impossible pour nos dirigeants gouvernementaux d’envisager que l’augmentation des cotisations augmenterait le salaire brut, comportant le salaire net versé mensuellement aux employés d’une part et les cotisations sociales d’autre part.

Les cotisations sociales, parce qu’elles ouvrent les droits à l’assurance chômage, à l’assurance maladie, à l’assurance vieillesse, et parce qu’elles s’inscrivent dans une solidarité nationale par le biais des allocations familiales, des indemnités chômage, des pensions de retraite, etc. font partie intégrante du salaire, c’est-à-dire du revenu de celles et ceux qui n’ont d’autre choix, parce que dépourvus de capital donc de rente, que de vendre leur force de travail pour subvenir à leurs besoins.

Pour les défenseurs de la hausse des cotisations, il n’est donc nullement question de baisser le salaire net de 440 euros par an, mais bien au contraire d’augmenter le salaire brut de 440 euros par an, ce qui ne serait pas un luxe pour des travailleurs qui vivent, pour beaucoup, à peine au-dessus du seuil de pauvreté malgré les sacrifices induits par le travail salarié tel qu’il s’impose de nos jours.

Une autre voie possible, opportune, indispensable

Là encore, le gouvernement de monsieur Macron et de madame Borne s’enferre dans un dogmatisme selon lequel, parce que les employeurs seraient engagés dans une compétition internationale, ces derniers seraient obligés de maintenir au plus bas le coût du travail, synonyme en fait pour tous les employés de salaire, immédiat ou socialisé, immédiat pour les actifs ou continué après la carrière via la retraite par répartition.

Il est pourtant tout à la fois possible, opportun et même indispensable d’augmenter les salaires en France, autant nets que bruts. Possible compte tenu des gains de productivité qui ont explosé ces dernières décennies mais qui se sont fait aspirer par le capital et les rentiers qui le détiennent. Opportun étant donnée l’inflation qui étrangle les travailleurs aujourd’hui.

Indispensable car, tôt ou tard, l’augmentation du niveau de vie des salariés et petits indépendants apparaîtra incontournable du point de vue même des capitalistes et de leurs valets politiciens ou éditorialistes médiatiques, pour éviter qu’à l’inflation généralisée se conjugue une baisse de la consommation populaire, donc une récession économique – c’est-à-dire une contraction du produit intérieur brut français, qui ne peut être maintenu à flot par une politique des petits chèques ad vitam aeternam.

En 2023, la retraite est la mère des batailles

Ambroise Croizat, ministre communiste français du Travail au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans un pays ravagé et ruiné, a contribué à mettre en place la Sécurité sociale et sa branche vieillesse autour d’un principe : que la retraite ne soit plus l’antichambre de la mort mais qu’elle devienne une nouvelle étape de la vie.

Au-delà des arguments économiques, les nôtres ou ceux employés par les politiciens libéraux qui tordent la réalité sociale dont ils ne perçoivent que bien peu de choses avec leurs œillères et depuis leur piédestal, cette question philosophique se pose à toutes celles et tous ceux qui composent la majorité populaire de notre pays.

Acceptons-nous de courber l’échine devant les arguments d’autorité favorables aux réformes régressives, formulés au nom de l’équilibre financier et toujours démentis moins de dix ans après qu’ils aient été dispensés, de nous résoudre à une hausse du temps de travail contraint et une baisse d’autant de notre temps libre à l’échelle de notre existence ?

Saisirons-nous l’occasion qui se présente dans le contexte actuel, avec l’agglomération des colères et l’unité des organisations représentatives des salariés, pour refuser l’irrespect et la maltraitance dans laquelle veulent nous confiner les dirigeants économiques et politiques et pour faire entendre, face à la folie de notre temps, la voix de la raison et de l’intelligence humaines ?

Nous lèverons-nous enfin pour l’augmentation de nos salaires, pour le droit au repos en bonne santé après une vie de travail, pour notre classe sociale majoritaire qui tient en son nombre et en sa qualité de productrice de toute valeur les clés pour prendre en main sa destinée ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *