« Bonjour l’asile », sorti le 26 février 2025 au cinéma, est un film impossible à résumer sans le trahir. Le synopsis officiel le présente ainsi : « Jeanne quitte quelques jours le stress de la vie urbaine pour aller voir sa grande amie Élisa, récemment installée à la campagne. Au cœur des bois voisins, un château abandonné, devenu tiers-lieu, foisonne d’initiatives collectives. Élisa aimerait s’y investir, mais entre biberons et couches lavables, elle n’en a pas le temps. Jeanne, militante des villes, n’y voit aucun intérêt. Quant à Amaury, promoteur en hôtellerie de luxe, il veut acheter le château. Tous trois convergent malgré eux vers ce lieu d’entraide et de subversion… Mais combien de temps cet asile d’aujourd’hui pourra-t-il résister à ce monde de fous ? » Le film aborde une multitude de thématiques : l’amitié, les tiers-lieux, l’action collective, la parentalité, le couple, l’appropriation capitaliste de la nature, les paradoxes militants… bref, ce qui nous rend névrotique. « Bonjour l’Asile » est surtout un divan moelleux de psy. Pourtant, au milieu de ces extravagances, la réalisatrice Judith Davis parvient à nous prendre par la main et nous entrainer dans une balade de gauche. Les acteur.ice.s du film sont les membres de la troupe L’Avantage du doute. On y retrouve notamment Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas, Nadir Legrand et Maxence Tual, tous déjà vus dans Tout ce qu’il me reste de la révolution (2019), le premier film de Judith Davis, qui avait remporté le prix du jury au Festival du film francophone d’Angoulême et pourrait être le préquel de Bonjour l’asile. Pour les films, c’est Judith Davis la cheffe, mais la troupe joue également au théâtre, dans un collectif qui fonctionne de manière horizontale. Ils et elles sont actuellement en tournée pour présenter sa pièce Encore plus, partout, tout le temps. Un film qui célèbre le collectif Autant par celles et ceux qui le portent que par son message, Bonjour l’asile nous rappelle l’importance du collectif. Dans la présentation de leur troupe, l’introduction débute par « La création de notre groupe répond tout d’abord à une nécessité, politique au sens large, que nous partageons, celle d’appartenir à un collectif. ». Dans le film, les autres prennent toutes les formes de nos névroses, ielles sont l’objet de nos désordres et de nos bouleversements mais c’est grâce aux autres que l’on se libère et aussi par eux que l’on crée. On peut se demander comment un tel film a pu être financé, tant il tranche avec l’ambiance pré-fasciste actuelle. Mais si, dans le clair-obscur, naissent les monstres, des anges aussi peuvent voir le jour…Et « Bonjour l’asile » en est un assurément !Alors que les budgets des services publics sont rabotés et que les établissements publics comme les associations peinent à survivre, Bonjour l’asile est un produit de l’exception culturelle française. Le Centre national du cinéma (CNC), créé en 1946 pour garantir « l’unité de conception et de mise en œuvre de la politique de l’État dans les domaines du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée », ainsi que Canal+ et la région Bretagne, ont soutenu ce projet avec un budget de près de deux millions d’euros. La critique a été globalement élogieuse. Mais du côté de la distribution, ça coince. UFO Distribution n’a pas réussi à imposer le film dans les grands réseaux. À Paris, il n’a été projeté que dans cinq salles (dont un UGC) et, sur l’ensemble du territoire, il n’a tenu qu’un mois environ. Un miroir tendre de nos contradictions Pour un militant·e de gauche, voir ce film fait du bien. Judith Davis parvient à parler de l’engagement sans morale, sans accabler, sans prêche.Elle nous rappelle à chaque instant que nous ne sommes pas seul·es dans nos luttes, ni dans les ambivalences et les contradictions de ces mêmes luttes : On milite pour l’émancipation des travailleur.se.s, mais on s’auto-exploite dans sa vie privée. On prône l’écologie et l’égalité, mais dans son couple, on installe les rapports de force. Le film met en lumière l’absurdité des rôles que nous jouons : la grande bourgeoise qui se tartine de crème hors de prix, le nouveau riche terrorisé à l’idée de retomber dans sa classe sociale d’origine, la mère de famille écolo qui prône l’autogestion et s’épuise à tout gérer seule. Bonjour l’asile salue nos névroses de gauche en nous tendant un miroir moqueur mais toujours avec bienveillance. Finalement, le personnage qui semble le plus équilibré est Cindy, incarné par Simon Bakhouch, dont le genre n’est jamais mentionné. Cindy est joyeux·se, intelligent·e, bienveillant·e, capable de poser des limites et de prendre du recul. On voudrait tou.te.s être Cindy. Un asile fictif, mais inspirant Le tiers-lieu, nommé HP (Hospitalité Permanente), pourrait sembler caricatural : les hommes en pleine déconstruction s’entraînent à dire le mot vulve et à se câliner sans se taper le dos, les réunions où la « boisson de l’amitié » ressemble à une potion de sorcière, ou encore les rituels de communication qui passent par un arbre, Grosse Mamma, à qui l’on confie ses pensées après un shooter de vodka. Mais loin d’être moqué, cet espace est célébré. C’est un refuge où chacun trouve sa place, où l’on apprend sans jugement, loin des dogmatismes. On y vit heureux… mais pas à l’abri des promoteurs immobiliers. Malheureusement, l’HP n’existe pas. Mais on ressort du film avec l’envie d’y faire une pause de six mois. Il reste encore quelques salles où le film est projeté : courez le voir, emmenez vos potes de droite, riez ensemble, et ressortez plein d’énergie et d’idées pour lutter et faire société autrement. Dans la joie.